LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie
XIV. - L'OCÉANIE.
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" Toujours plus loin ! ... " Voilà la devise de la petite hirondelle voyageuse. Qu'elle est loin, l'Europe ! Et pourrai-je jamais retourner dans ma chère vallée de la Vienne?... Après un court séjour dans l'île de Formose, je me dirige vers le sud et je ne tarde pas à atteindre l'île de Luçon ou Manille, la plus grande des Philippines: Je suis en Océanie Je viens de rencontrer en mer un oiseau immense, qui n'a pas moins de quatre mètres d'envergure, et auprès duquel je ne suis qu'un moucheron: C'est le vautour des mers, le grand albatros, auquel aucun autre oiseau ne peut être comparé pour la puissance du vol. Sa taille gigantesque, son corps robuste, son cou gros et court, sa grande tête, son bec acéré, long, fort et puissant, son plumage dur, épais et riche en font un être à part; et, quand il se montre sur les flots en courroux, on dirait une apparition fantastique. " C'est un beau spectacle de voir cet oiseau magnifique, plein d'énergie et de grâce, doué d'une force exceptionnelle, vogue, dans les airs. C'est à peine si l'on remarque un mouvement des ailes après le premier essor et l'élan qui porte ce puissant oiseau on suit son ascension et sa descente, dont les différents mouvements semblent opérés par une même puissance, à laquelle i' ne paraît appliquer en rien sa force musculaire. Il frôle presque, en planant, le gouvernail des bateaux, et cela avec une hardiesse incroyable. Quand il voit un objet flotter, il fond sur lui les ailes largement déployées, s'en empare, nage quelque temps, puis se relève, se met à tournoyer et reprend son exploration... Dans ses mouvements l'on ne remarque aucun effort, mais de la force et de l'énergie réunies à une grâce toujours égale. Il sillonne les airs très gracieusement, se penche d'un côté à l'autre, rase les vagues mouvantes de si près, qu'il semble y mouiller ses ailes ; puis il se remet à planer avec la même liberté et la même facilité d'allures. Son vol est si rapide, qu'on ne l'aperçoit plus que dans un grand lointain, quelques instants après qu'il a passé devant le navire, montant et descendant avec les vagues, et parcourant un immense espace en quelques minutes. " (1) L'albatros est intéressant à observer par un temps orageux ; tantôt il vole dans la direction du vent, tantôt contre lui ; il paraît heureux au milieu des vagues soulevées par l'ouragan. Quoiqu'il lui arrive quelquefois de se reposer sur les eaux par un temps serein, on le voit plus souvent voler. Par le calme, il flotte avec assurance à la surface des mers ; et, par la plus forte tempête, il s'élance avec la rapidité de la flèche. Il fait entendre des cris perçants, criards ; on a quelquefois comparé sa voix au braiement de l'âne. La voracité de l'albatros fait taire sa prudence: on le capture facilement avec un hameçon bien amorcé. J'ai vu un de ces oiseaux, que sans doute la tempête avait privé de nourriture pendant plusieurs jours, se laisser prendre jusqu'à six fois de suite A près avoir été capturé et relâché de nouveau, il saisissait encore de son bec ensanglanté l'appât qu'on lui présentait. Quoiqu'un bateau puisse faire plus de deux milles à l'heure avec un vent favorable, et qu'il en fasse autant tous les jours, l'albatros n'éprouve pas la moindre peine à le suivre, tout en se livrant à des évolutions de plusieurs lieues, et toujours il revient dans le sillage du bateau pour attraper ce que l'on jette par-dessus bord. Tschudi fit enduire de goudron la tête, le cou et la poitrine d'un albatros dont on s'était emparé à bord du navire qu'il mon- tait, puis il lui rendit la liberté. " L'oiseau s'éloigna aussitôt, dit-il, mais reparut après trois quarts d'heure, au milieu d'oiseaux de son espèce et de pétrels qui suivaient constamment le navire. Je lui accordai toute mon attention, et, à ma prière, l'officier de quart voulut bien l'observer aussi- Nos observations communes nous autorisèrent à constater que l'oiseau que nous avions marqué suivit, six jours pleins, le bâtiment et ne disparut de notre horizon que quatre fois pendant ce temps, et jamais pour plus d'une heure- Le septième jour, au matin, il partit au large, et dès lors nous ne le revîmes plus- On peut admettre avec certitude qu'il suivit le bâtiment pendant la nuit, car nous l'observâmes, après le coucher du soleil, aussi longtemps qu'il nous fut possible de le distinguer, et l'officier le vit volant sans fatigue, à la première ronde du matin. Pendant ces six jours le navire fila quatre nœuds et demi en moyenne. " C'est sa voracité insatiable qui pousse l'albatros à parcourir des espaces aussi étendus, et à passer une grande partie de son existence dans les airs. On peut dire de cet oiseau qu'il ne paraît vivre que pour manger. L'archipel des Philippines fut découvert en 1521 par Magellan, qui donna à ce groupe d'îles le nom d'Archipel Saint-Lazare. Les chaînes de montagnes qui traversent ces îles dans tous les sens sont remplies de volcan ; le terrain est coupé par d'innombrables torrents, et on y trouve un grand nombre de marais, de tourbières et de lacs. Dans les sécheresses, ce sol bourbeux et spongieux se gerce de toutes parts ; les tremblements de terre y causent d'épouvantables ravages. Dans la saison des pluies, ce sont des inondations générales et des ouragans terribles. La chaleur et l'humidité rendent ces îles très fertiles ; les vallées et les montagnes jouissent toute l'année d'une verdure perpétuelle ; les arbres ne sont jamais privés de feuilles, les campagnes sont toujours émaillées de fleurs, et souvent, le même arbre porte, en même temps, des fleurs et des fruits. Le riz, le froment, le cacao, la cane à sucre, le tabac y réussissent très bien ; les orangers et les citronniers y abondent et les fruits en sont excellents. Parmi les végétaux indigènes les plus remarquables sont le cotonnier, le manguier, le bambou, le bananier, l'ananas, le gingembre, le poivre, le cassier. Les forêts abritent de grandes quantités de cerfs et de daims ; les caïmans infestent les rivières et les marécages ; des serpents redoutables portent des venins qui tuent en un instant. Les habitants de la principale tribu de l'île de Luçon, les Tagals, vivent dans une abondance et une tranquillité qui rappelle l'âge d'or ; leur charité mutuelle permet souvent aux paresseux de s'abstenir de tout travail. Et pourtant, ce peuple si bon, si humain, si généreux, se fait remarquer par son amour effréné pour les jeux de hasard et les paris. Est-il possible que ces figures si graves découvrent par moment les passions les plus violentes?... Voyez-vous ce Tagal, portant sous le bras un superbe coq qui ne le quitte jamais et reçoit constamment ses caresses? Il le préfère certainement à sa femme et à ses enfants ; mais aussi, c'est de la force du courageux oiseau qu'il attend le gain de ses nombreux paris et une abondance momentanée. Les combats de coqs sont pour les habitants de Manille ce que sont les courses de taureaux pour les Espagnols, une distraction qu'ils aiment avec fureur. Les deux gouvernements les ont également soumis à leur autorisation, non pour rendre plus rares ces spectacles qui entretiennent chez le peuple le goût du sang, mais pour les soumettre à des droits excessifs, et pour faire servir cette passion populaire à l'augmentation de leurs revenus. Des endroits sont désignés pour ces combats de coqs : C'est là, qu'au prix de leur sang, et souvent de leur vie, ces intrépides animaux viennent défendre les intérêts de leurs maîtres. Avant le combat, des arbitres, choisis parmi les spectateurs qui entourent une petite arène couverte de sable fin, décident si les combattants sont à peu près égaux en force. La question résolue, de petites lames d'acier, longues, étroites, d'une trempe excellente, arment la patte gauche de chacun des gladiateurs emplumés, que les caresses et les exhortations intéressées de leurs propriétaires excitent au combat. Pendant ces préparatifs, les paris ont lieu, l'argent est déposé ; et, enfin, le signal est donné : Les deux coqs se précipitent à la rencontre l'un de l'autre, leurs yeux brillent, les plumes de leur tête sont hérissées et éprouvent un frémissement qui fait trembler leur belle crête écarlate. C'est alors que l'animal le mieux dressé déploie tous ses avantages, et oppose l'adresse à la force aveugle et au courage inconsidéré de son ennemi. Les deux rivaux dédaignent les coups de bec ; ils savent combien est dangereux le poignard dont leur pattes sont armées ; ils les portent toujours en avant en s'élançant au-dessus du sol. Il est rare que le combat dure longtemps: un des champions ne tarde pas à tomber sur l'arène, le corps ouvert par une large blessure ; il expire sur le sable et devient la propriété du maître de son vainqueur. Celui-ci, presque toujours blessé lui-même, ne chante pas sa victoire : Emporté loin de l'arène, il est comblé de soins, et reparaît au combat quelques jours après, plus fier encore qu'auparavant, jusqu'à ce que le fatal coup d'éperon d'un heureux rival vienne terminer sa vie glorieuse et ruiner les espérances de son maître. Quelquefois les combattants tiennent la victoire en suspens et s'arrêtent pour reprendre haleine ; le vin chaud aromatisé leur est prodigué pendant que chaque parti compte leurs blessures et calcule ses chances de succès. Après quelques courts instants de repos, le combat recommence avec une nouvelle fureur, et ne finit que par la mort d'un des champions. Lorsqu'un des combattants, craignant la mort ou reconnaissant la supériorité de son adversaire, abandonne le champ de bataille, il est ramené deux fois au combat. Si les encouragements de son maître ne peuvent ranimer son courage, les paris sont perdus, et le coq, déshonoré, va le plus souvent expier sa lâcheté sous l'ignominieux couteau de la cuisinière. J'avais hâte de me détourner de ces scènes d'horreur que la stupide obéissance de certains animaux favorise, et je repris mon vol à travers l'archipel : Voici la petite île de Mactan où tomba l'intrépide et célèbre Magellan. Tout à fait à l'Est, voici Samar, l'une des plus belles et des plus fertiles de tout l'archipel. Les forêts abondent en oiseaux de toutes sortes ; le roucoulement des tourterelles se fait constamment entendre sous le couvert des grands bois. Une multitude de loris, gracieux petits singes grands comme des écureuils, grimpent avec lenteur le long des branches et témoignent de leur amitié réciproque en s'embrassant tendrement ; de jolies perruches, grosses comme des linotes, se balancent à l'extrémité des rameaux flexibles et remplissent l'air de leurs cris assourdissants. Les abeilles sauvages suspendent aux branches des figuiers leurs innombrables ruches, remplies de miel parfumé. Çà et là, le moindre vent balance les nids des oiseaux-mouches dont les petits propriétaires bourdonnent autour des fleurs dans lesquelles ils plongent leur langue effilée. J'arrive à Mindanao, la seconde en importance du groupe des Philippines : Partout, ce ne sont que golfes et presqu'îles, ruisseaux ou fontaines, rivières navigables qui abondent en poissons. La vigne y prend des proportions prodigieuses et ne souffre aucune espèce de culture ; ses longs rameaux s'élancent jusqu'aux cimes les plus hautes des arbres les plus élevés. Puis je parcours le groupe de Soulou, l'une des parties les plus intéressantes de cette partie du monde : Des fruits parfumés, des fleurs magnifiques, des milliers de plantes inconnues, des arbres énormes, des lianes gigantesques, de grands éléphants, de petits cerfs, des sangliers et des porcs sauvages, des oiseaux au brillant plumage s'offrent de toutes parts I ma vue. Je suis encore son le charme de toutes ces splendeurs naturelles dont la plupart resteront longtemps inconnues à l'homme, lorsque mon aile fatiguée se replie à Bornéo. |
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