LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
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IV. - EN GRÈCE.
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Bientôt les sages de la tribu décidèrent qu'il était temps d'entreprendre le grand voyage. Nous allions, de nos ailes puissantes, franchir l'espace que les cailles parcourent en trottinant dans les sillons. Six mois se sont écoulés depuis mes pérégrinations en Afrique, et l'impérieuse nécessité va nous contraindre à nous éloigner de nouveau... Les réunions bruyantes, les conciliabules animés ont eu lieu, comme de coutume, autour de la vieille église ; et, comme l'an passé, toutes ensemble, nous nous dirigeons vers l'Italie. Notre itinéraire fut le même jusqu'à Ocrante ; mais, arrivée à ce point, je pris au sud-est et allai me reposer à Corfou , l'antique Corcyre, posée comme une sentinelle à l'entrée méridionale de la Mer Adriatique. Le lendemain, après avoir longé les côtes de l'Albanie, j'étais en Grèce, suivie de ma famille et d'une troupe nombreuse de mes compagnes. Le climat de la Grèce est délicieux ; le sol, bien que montagneux, est fertile. Nous franchissons des montagnes couvertes de forêts d'oliviers, des vallées remplies de myrtes, de lentisques et de lauriers-roses. Partout nous rencontrons des milliers d'oiseaux, fuyant comme nous, devant l'hiver. Les cailles et les bécasses couraient dans les bois et dans les plaines ; jamais plus splendide festin n'avait été servi aux oiseaux de proie. Voici la bartavelle ou perdrix grecque, souvent confondue avec la perdrix rouge ; pourtant, son plumage offre des nuances moins vives ; le dessus de son corps n'a pas cette teinte de roux olivâtre qui caractérise la perdrix rouge ; il est d'un roux plus cendré ; elle en diffère encore par le collier noir qui s'avance sur sa poitrine et par l'absence de taches noires sur les plumes blanches de son plastron. Mais pourquoi ce bel oiseau, dont le volume me paraît double de celui de la perdrix grise, fuit-il épouvanté ? Ce n'est pas la présence, au-dessus de lui, d'un bataillon d'hirondelles qui peut lui causer cet effroi. Il se tapit dans une touffe d'herbe ; il s'aplatit, se dissimule de son mieux ; toutes ces précautions seront peines perdues : Voici l'ennemi ! Du sommet de la montagne voisine, à parois rocheuses et escarpées, s'élance un grand oiseau ; son vol ressemble à celui du faucon : c'est l'aigle pseudaëte, assez commun dans ces contrées, Le pseudaëte a près de deux mètres d'envergure ; il est agile, courageux et hardi. Il plane en décrivant des cercles ; son regard est vif et étincelant ; il a vu la pauvre bartavelle dont la perte est assurée ; et à l'aspect de ce succulent gibier, ses yeux expriment une rage et une férocité incroyable. Il mesure la distance, se laisse tomber en fendant l'air comme une flèche, et remonte triomphalement en emportant la perdrix dans ses serres puissantes. C'est toujours et partout, meurtre et carnage ! ... Le pseudaëte réunit la vigueur du faucon à l'agilité de l'épervier, le courage de l'aigle à la férocité de l'autour ; il ne craint aucun autre oiseau et attaque tous ceux qui se montrent dans son voisinage. On l'a vu combattre le gypaëte, le vautour cendré, le pygargue et l'aigle fauve ; il ne vit en paix avec aucun autre rapace. On a prétendu, mais c'est une erreur, qu'il ne vivait que d'oiseaux aquatiques. En Espagne, il est l'ennemi le plus redoutable des poules ; il les poursuit avec opiniâtreté et les enlève sous les yeux de l'homme. Planant au-dessus d'un lac, j'ai pu me rendre compte de l'impression que causait l'apparition du pseudaëte. Les oiseaux aquatiques, qui s'inquiétaient à peine des milans rôdant aux environs, et qui, à peine, levaient la tête quand un aigle criard se montrait, se précipitaient dans les roseaux dès qu'un pseudaëte était en vue. Les poules d'eau fuyaient, en courant sur les plantes aquatiques ; les canards se couchaient sur l'eau, le cou étendu ; de tous côtés retentissaient des cris d'appel et d'angoisse jusqu'à ce que le tyran eut jugé à propos de s'éloigner. En Grèce, le pseudaëte établit son aire dans les crevasses des parois des rochers les plus inaccessibles ; il la construit avec de petites branches d'olivier sauvage, et les feuilles du chêne épineux ; l'intérieur est tapissé de duvet. J'ai retrouvé en Grèce le rossignol progné, si commun dans les Sierras espagnoles ; le loriot ou merle d'or, ce grand mangeur de cerises, dont j'avais vu, en France, le nid en forme de coupe, artistement suspendu aux branches d'un grand chêne voisin de mon hangar. J'ai revu la mésange à bourse, ou rémiz penduline, commune dans les marais du midi de la France. Vive, agile, hardie, la rémiz penduline grimpe admirable le long des roseaux au milieu desquels elle se tient soigneusement cachée ; elle explore sans relâche tous les coins et recoins de son domaine. C'est, de tous les oiseaux du midi de l'Europe, celui dont le nid est construit avec le plus d'art ; elle le suspend à l'extrémité d'un rameau flexible incliné sur l'eau, de telle sorte qu'aucun ennemi ne puisse se risquer sur ce frêle appui. J'ai observé plus d'une fois, dans mes voyages, ces nids curieux, et j'ai voulu me rendre compte de la manière dont ils sont construits. La penduline choisit un rameau mince, pendant, présentait une bifurcation ; elle l'entoure de laine ou de poils. Entre les branches de la bifurcation, elle fixe les parois de l'édifice et les tisse jusqu'à ce qu'elles dépassent assez ces branches pour qu'elle puisse les rattacher par en bas, l'une à l'autre, et former ainsi un plancher aplati. Ainsi ébauché, le nid ressemble à un panier à bords plats : les parois extérieures sont ensuite solidifiées au moyen du duvet des peupliers et des saules que l'oiseau agglutine au moyen de sa salive, comme nous agglutinons, nous-mêmes, les petites mottes de terre qui composent nos demeures, et qu'il fixe avec des filaments d'écorce, de la laine et des poils. Dans ce moment, le nid présente la forme d'un panier à fond arrondi ; alors l'oiseau commence à construire une petite ouverture latérale circulaire ; le nid a deux de ces ouvertures : l'une est munie d'un couloir, l'autre reste ouverte. Enfin, la rémiz dépose au fond de son nid une couche d'environ deux centimètres de duvet végétal, et la construction est terminée. L'édifice représente alors une bourse de quinze à vingt centimètres de haut et dé dix à quinze centimètres de diamètre sur le côté de laquelle se trouve une ouverture, ressemblant au goulot d'une bouteille : Il est impossible de confondre ce nid avec celui d'aucun autre oiseau. C'est sans doute la construction singulière de ce nid qui lui a fait attribuer par certains peuples des propriétés merveilleuses. Les Mongols prétendent guérir les fièvres intermittentes, en faisant respirer la fumée que dégage un morceau de ces nids que l'on brûle. Ramolli dans l'eau chaude, il guérit les rhumatismes, si l'on a soin de l'appliquer sur la partie douloureuse. Et les hommes osent se moquer des petits oiseaux qui se laissent prendre à la pipée ! ... Plus d'une fois, j'ai retrouvé les traces de la présence de la pie grièche écorcheur, ce redoutable ennemi des petits oiseaux. L'écorcheur se nourrit principalement d'insectes, de coléoptères, de sauterelles, de papillons, de chenilles ; mais il détruit tant de petits oiseaux que l'homme ne le supporte guère dans son voisinage. Là où s'est établie une paire d'écorcheurs disparaissent rapidement tous les petits volatiles. Lorsque l'écorcheur est rassasié, il amasse des provisions qu'il mange dès que la faim se fait sentir ; il embroche sa proie aux longues épines des buissons ; et rien n'est triste comme de voir les oisillons se tordre longtemps, dans les convulsions de l'agonie. J'ai souvent trouvé piqués de la sorte, avec des insectes et des grenouilles, des fauvettes et de jeunes hirondelles. Plus agréable que l'écorcheur est cet oiseau gai, vif et agile, qui chante avec ardeur. Un peu sauvage de sa nature, le pétrocincle fuit la société de l'homme ; mais l'homme le recherche, parce qu'il chante agréablement, et qu'il est facile à instruire et nourrir. Ces qualités font que le pétrocincle devient souvent prisonnier En Italie, à Malte, en Grèce, on le tient en haute estime comme oiseau d'appartements. Très prudent, cet oiseau passe rarement toute la journée dans un même endroit ; il rôde tout le jour dans son domaine et ne se pose que pour quelques instants ; i1 court et sautille lestement sur le sol, vole rapidement et avec facilité, plane et décrit des cercles avant de se poser. Les rochers les plus dénudés, les ravins les plus rocailleux où ne poussent que quelques rares buissons épars "sont les endroits qui lui plaisent le mieux. La voix du pétrocincle est très agréable et rappelle le son de la flûte ; elle est forte, sans être trop bruyante, et il la fait entendre toute l'année. Doué d'un très grand talent d'imitation, on peut, à juste titre, lui donner le surnom d'oiseau moqueur. Il imite le merle, le loriot, le pinson, le rouge-gorge, la fauvette, le rossignol, la caille, la perdrix, le cri du coq. Au temps de la nidification, le mâle chante avec la plus grande ardeur : Il danse, le corps droit, les ailes et la queue frottant contre le sol, les plumes du dos hérissées, la tête rejetée en arrière, le bec largement ouvert, les yeux à demi fermés. Malgré les persécutions insensées dont elle a été l'objet, j'ai encore, ça et là, rencontré en Grèce, la cigogne blanche. Nous sommes loin du temps où le meurtre d'un de ces oiseaux était puni, par les anciens, de la manière la plus terrible ; et ces mêmes Grecs lui la considéraient comme le symbole de la reconnaissance et de la piété filiale, ont été les plus ardents à la détruire. " Partout, dit un auteur, où la domination turque s'est prolongée, où la révolution grecque n'a pas tout nivelé, les cigognes demeurent en possession de leurs palais ; c'est ce qui arrive, par exemple, dans l'île d'Eubée. Mais là où, dès les premiers jours de la révolution, s'est établi l'hellénisme, là aussi, les cigognes ont disparu ; il n'en existe plus à Nauplie, à fatras, à Syra, à Athènes. " La cigogne blanche, que l'on pourrait appeler cigogne domestique, doit son nom à la teinte générale de son plumage ; les pennes de ses ailes sont noires ; son bec et ses pieds sont rouges ; elle est haute de plus d'un mètre ; les plumes de la partie inférieure du cou sont longues, pendantes et pointues. Cet oiseau, essentiellement migrateur, et destiné à parcourir de grandes distances, est parfaitement organisé pour le vol dans l'air, il porte la tête roide, en avant, et ses pattes étendues en arrière, lui servent de gouvernail. La cigogne blanche est l'espèce la plus répandue, mais elle est surtout commune en Allemagne et en Hollande. Les cigognes poussent leurs excursions jusque dans l'intérieur de l'Afrique centrale, où elles hivernent et reviennent au printemps en Europe. Il est curieux d'assister à l'arrivée de ces oiseaux : On voit le couple qui a habité une maison les années précédentes, descendre tout à coup d'une hauteur prodigieuse, en décrivant des spirales, se poser sur le haut du toit, et se montrer immédiatement aussi familier avec les lieux que s'il ne les avait jamais abandonnés. En cela, elles se montrent comme nous, fidèles et reconnaissantes de l'hospitalité bienveillante qui leur a été accordée. Leur nourriture est essentiellement animale : elles mangent des mollusques, des insectes de toutes sortes, des reptiles, des poissons, de petits mammifères. " Avant de saisir une grande couleuvre, la cigogne la frappe à coups de bec, de façon à l'étourdir ; elle l'avale ensuite, la tête ou la queue la première, avant même qu'elle soit morte ; aussi le serpent s'entortille-t-il souvent autour de son bec, ce qui la force à le rejeter p /un violent mouvement de tête, ou de le retirer avec sa patte et l'avaler de nouveau. Quand elle a très faim, elle avale souvent de petits serpents, sans les avoir préalablement frappés ; ceux-ci s'agitent longtemps encore dans son œsophage, et s'échappent souvent quand elle baisse la tête pour prendre une nouvelle proie ; aussi, quand plusieurs serpents se trouvent devant elle, la chasse qu'elle leur fait est fort divertissante. Elle aime beaucoup les vipères, seulement, avant de les avaler, elle les assomme en les frappant vigoureusement et à coups redoublés sur la tête. Si le serpent venimeux la mord, elle souffre quelques jours, mais elle se remet bientôt. " (1) Les mouvements de la cigogne sont lents, ses pas grands et mesurés ; elle court rarement, porte le pied en avant en même temps que la jambe Cette sorte de marche est due à un genre d'articulation particulière auquel la cigogne doit aussi la faculté de dormir sur une seule patte, en tenant l'autre fléchie et souvent suspendue à angle droit. Elle vole avec une facilité incroyable ; elle s'élance de terre en deux ou trois bonds et s'élève en décrivant des spires qui vont toujours en s'élargissant. Quand elle est irritée, elle renverse la tête en arrière, et fait entendre une sorte de claquement en frappant ses mandibules l'une contre l'autre. Son nid présente un diamètre, variable de soixante centimètres à un mètre ; elle le construit assez négligemment avec des branchages, des roseaux, du gazon, de l'herbe des poils et des plumes ; il est légèrement aplati ; et souvent, il est bordé de nids d'hirondelles ou de moineaux. Elle le bâtit sur les grands bâtiments, sur des granges, des chaumières, ou sur des arbres élevés. |
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