LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie
II. - HOBEREAU, CHOUETTE ET PERDRIX.
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Nous étions aux premiers jours de septembre; depuis longtemps les jeunes nous accompagnaient dans nos excursions; nous les conduisions dans les parages où les insectes étaient abondants, où la chasse était facile et fructueuse. Nous avions exploré, avec elles, sur les deux rives de la Vienne, les champs et les prairies, et nous les avions mises en barde contre les attaques des crécerelles, toujours nombreuses autour du vieux château. J'avais, depuis quelques jours, aperçu rôder des rapaces, bien plus redoutables pour nous que les crécerelles : c'était un couple i ! e hobereaux qui, de temps ers temps, sortaient de l'épaisseur du bois et s'élançaient sur les oiseaux sans défiance. Vifs et agiles, les hobereaux peuvent rivaliser de vitesse avec les oiseaux les plus rapides : leur vol ressemble au nôtre; comme nous, ils tiennent leurs ailes courbées en faucille, en battent fréquemment l'air et, tout en planant, changent de direction avec la plus grande facilité. Ils se posent rarement à terre, et se perchent de préférence sur les arbres. J'avais vu, la veille, l'un de ces oiseaux raser le sol avec aisance, et, sans s'appuyer sur la terre, saisir dans ses serres une vipère qui voulait fuir. Malgré sa résistance, le venimeux reptile avait été emporté sur un arbre voisin. Enroulé autour d'une branche, il essaya une lutte inutile, et bientôt, coupé, déchiqueté, il devint la proie de son adversaire. Les alouettes craignent tellement le hobereau que, pour lui échapper, elles se réfugient auprès de l'homme; leur effroi est si grand qu'on peut les prendre avec la main. Ordinairement, le rapace vole à ras du sol. Lorsque les alouettes t'aperçoivent de loin, elles s'élèvent rapidement à une hauteur où l'œil ne peut les suivre ; elles font retentir leur chanson, car elles savent bien qu'elles se trouvent là en sûreté. Le hobereau ne peut prendre sa proie que de haut en bas, et jamais il ne se hasarde à fine pareille hauteur. De même, nous évitons ses attaques en nous réunissant en bandes et en nous élevant dans les airs; il n'y a de dangers que pour celles qui sont restées isolées, près de terre. Les hirondelles de fenêtre, qui s'élèvent moins haut, sont plus souvent capturées. Cependant ce jour-là, le couple, qui chassait de compagnie, fondit sur nous à l'improviste, et avec tant de précipitation qu'une de nos jeunes compagnes fut saisie par l'un des oiseaux de proie ; elle s'échappa, puis fut bientôt reprise au moment où arrivait le second hobereau. Celui-ci sembla réclamer sa part de la victoire; le premier possesseur s'y refusant, une lutte s'engagea. Ils se donnèrent tant de coups de bec et de griffes que l'hirondelle, toute meurtrie, parvint cependant à s'échapper, pendant que les deux rivaux, étroitement enlacés, arrivèrent à terre, où ils faillirent tomber sous les coups d'un paysan armé d'un bâton. Nous eûmes la satisfaction de les voir s'éloigner, tout confus, dans la direction du bois où ils purent, sans témoins, terminer cette querelle conjugale. Un peu plis tard, nous prenions notre revanche, en harcelant un pauvre oiseau de proie nocturne, qui n'était pour _rien dans l'attaque brutale des hobereaux. Il n'y a pas que les hommes qui professent la maxime : a oeil pour oeil, dent pour dent ! Une malheureuse chouette s'était fourvoyée en pleine lumière, sur le tronc d'un gros noyer. Vous saurez que tous les oiseaux, et plus particulièrement les pies et les corneilles ont pour les chouettes une antipathie incroyable. Une pie aperçut, la première, l'oiseau de nuit que le soleil aveuglait, et donna le signal de l'agression : c'était une bonne aubaine que pas un seul passereau du voisinage ne voulut laisser perdre. En un instant, les pies, les geais, les merles, les mésanges, les oiseaux gros et petits criaient, piaillaient, vociféraient en entourant l'ennemi commun. Attirés par ce concert discordant, nous vînmes joindre nos efforts à ceux des premiers combattants. 1-e spectacle des plus comiques était absolument sans danger pour nous. La chouette, ahurie par l'éclat de la lumière , ne répondait que par des gestes risibles à nos insultes et à nos attaques; elle remuait la tête dans tous les sens, ou faisait entendre, comme les perroquets, une sorte +ale craquement de bec qui indiquait sa colère impuissante; enfin, la trépidation de ses pieds représentait une sorte de danse qui n'aboutissait qu'à encourager nos insultes : c'était à qui l'assaillirait, la harcèlerait, lui arracherait une plume, et les plus faibles d'entre nous se montraient peut-être les plus acharnés. Heureusement pour la pauvre chouette, le soleil se cacha sous un gros nuage; se trouvant en état de pouvoir se diriger, elle s'envola au plus vite et disparut dans le tronc creux d'un arbre voisin, au grand désappointement de ses persécuteurs. J'avais cédé à un mouvement irréfléchi en me mêlant aux agresseurs de la chouette, et j'en éprouvais maintenant quelques remords. Pilon expérience m'avait appris qu'il y a lâcheté à s'attaquer aux êtres sans défense; et puis, je devais de la reconnaissance à un oiseau de la même espèce qui souvent, pendant la nuit, venait visiter la basse-cour et le hangar où nous avions établi notre demeure. Plus d'une fois, la chouette effraie, ou fresaie, nous avait débarrassées des rats qui menaçaient notre couvée. L'effraie, répandue sur tout le globe, est très commune en France; c'est un joli oiseau de nuit, à la face grise, à la tête erg foncée dans une belle collerette formée de petites plumes fines, molles, à barbes désunies, blanches, ceintes de plumes jaunes plus roides. Tout son plumage est gris de lin glacé, pointillé de gris et de noir. Son cri lugubre et l'espèce de soufflement qu'elle fait entendre lui ont, sans doute, valu le nom qu'elle porte. Elle est, à la campagne, un objet de crainte et d'horreur, et devrait, au contraire, être considérée comme un ami du paysan dont elle contribue à conserver les récoltes en détruisant les rats et les souris, les campagnols et les mulots. La Naine inconsidérée des petits oiseaux pour la chouette cause, chaque année, la perte d'un grand nombre. On met à profit cette prédisposition qu'ils ont à poursuivre les rapaces nocturnes pour les prendre à la pipée. Pour cela, on attache une chouette au milieu d'un fourré que l'on a, préalablement, garni de pièges et de gluaux. Aux cris de l'oiseau de nuit, on voit, de toutes parts, accourir une multitude ~'e passereaux de tout genre, qui viennent s'empêtrer et se prendre aux pièges qu'on leur a dressés. C'est surtout une heure environ avant le coucher du soleil que cette chasse se pratique avec succès. Le lendemain, dès l'aube, nous entendions de tous côtés retentir des coups de fusil : c'était l'ouverture de la chasse, et nous nous réjouissions de n'avoir pas les chairs dodues et le fumet exquis des oiseaux considérés comme gibier. Le chasseur qui, à l'ouverture de la chasse, s'amuserait à user sa poudre contre de maigres hirondelles, deviendrait bientôt la risée de tous les disciples de saint Hubert. Notre sécurité n'était donc has troublée par ce tapage insolite. Cependant, nous ne pouvions nous empêcher de plaindre les lièvres, les lapins, les cailles, les perdrix rouges et grises, cachées dans le sillon, tremblant de peur à la vue des chiens et des chasseurs semant partout l'épouvante et l'effroi. La perdrix est un parasite de la civilisation; mais il faut avouer que la civilisation lui fait payer trop cher les bienfaits qu'elle en reçoit ! " Il semble qu'elle ait besoin de l'homme pour exister; elle ne multiplie abondamment crue sous sa tutelle. Port rare, sans doute, au temps où, ce qui sur cette terre n'était pas forêt, était marécage, elle a suivi pas à pas le pionnier dans ses conquêtes sur la nature primitive : dévoré par cette soif de l'inconnu que l'homme lui avait mise au coeur, celui-ci s'avançait dans les solitudes. Sois sa cognée tombaient les chênes gigantesques et les hêtres monstrueux; pour la première fois, un rayon de soleil vivifiait et réchauffait cette terre noire et humide. L'homme prenait sa houe, il ouvrait un sillon, et quand l'heure de la moisson était venue, il se trouvait que le champ nouveau comptait des hôtes de plus , les perdrix, qui étaient venues chercher dans l'épi un aliment, dans les tiges drues et flexibles un abri pour leurs ébats. " Concentrée dans quelque point ignoré de l'Orient, des bords de la Mer Noire probablement , la perdrix grise, toujours en quête des pays doux et tempérés qui sont ses climats de prédilection, tendait à gagner l'Occident. " Sa propagation était lente, sans doute, le mouvement de progression vers l'Ouest devait être imperceptible, mais il devait être aussi très régulier et très continu, car les Nemrods de ce temps-là, qui avaient le choix entre tant de victimes opimes, devaient professer pour le pauvre oiseau un dédain tutélaire. Ce fut, sans doute, ainsi qu'elle gagna les plaines de la haute Italie, soigneusement cultivées, et d'où elle se répandit dans le reste de l'Europe. " Pourquoi, pauvres oiseaux, les Nemrods modernes ne professent-ils pas pour vous le même dédain que ceux des siècles passés ? Je voyais là, blotties sous des touffes de maïs, deux mi nonnes perdrix grises, et à quelque distance le chien qui les avait éventées; derrière lui, le chasseur, le doigt sur la détente et prêt 11 faire feu ! Le chien se rapprochait, son œil s'allumait, sa queue ondulait dans un mouvement horizontal de plus en plus nerveux, ses oreilles frémissaient, des frissons semblaient passer sur son corps. Inquiètes, les perdrix devinaient le danger. Faut-il attendre ?... Faut-il fuir?... Faut-il demander le salut à nos pieds ou à nos ailes?... Elles partent, elles s'envolent ! ... Deux coups de feu retentissent; mais, sans doute, la distance était trop grande. La brise emporta quelques plumes, et je vis bientôt les malheureux oiseaux disparaître sous le couvert d'un petit bois. Hélas ! Verront-elles la fin de la journée?... La perdrix rouge diffère de lia perdrix grise par ses instincts, ses habitudes, ses mœurs et son plumage. Elle a la gorge blanche, encadrée par un collier noir, qui, partant des yeux, s'élargit insensiblement sur les côtés et en avant du cou. La perdrix grise aime les plaines et préfère celles qui sont le mieux cultivées; la perdrix rouge, au contraire, ne se plait que dans les contrées montueuses, arides et rocailleuses. Tout le monde connaît le dévouement des perdrix pour leurs petits, et l'incroyable énergie avec laquelle ces oiseaux se dévouent pour attirer sur eux le danger qui les menace. " Si un chien s'emporte, et qu'il les approche de trop près, c'est toujours le mâle qui part le premier, en poussant des cris particuliers, réservés pour cette seule circonstance : il ne manque guère de se poser à trente ou quarante pas, et on en a vu plusieurs fois revenir sur le chien en battant des ailes, tant l'amour paternel inspire de courage aux animaux les plus timides ! Mais quelquefois il inspire encore à ceux-ci une sorte de prudence et des moyens combinés pour sauver leur couvée. On a vu le mâle, après s'être présenté, prendre la fuite, mais fuir pesamment et en traînant l'aile comme pour attirer l'ennemi par l'espérance d'une proie facile, et fuyant toujours assez pour n'être pas pris, mais pas assez pour décourager le chasseur; il l'écarte de plus en plus de la couvée; d'autre côté, la femelle, qui part un instant après le mâle, s'éloigne beaucoup plus et toujours dans une autre direction. A peine s'est-elle abattue, qu'elle revient sur-le-champ en courant le long des sillons, et s'approche de ses petits, qui se sont blottis, chacun de son côté, dans les herbes et dans les feuilles; elle les rassemble promptement, et avant que le chien, qui s'est emporté après le mâle, ait eu le temps de revenir, elle les a déjà emmenés fort loin, sans que le chasseur ait entendu le moindre bruit. |
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