L'hirondelle

L'hirondelle

L'hirondelle - (Charles Grandmougin)
Extrait de La petite revue 2eme semestre 1892

Sous le vieux pont, les hirondelles
Deux fois l'an bâtissent leurs nids ;
Le bonheur nous les rend fidèles,
Elles passent, oiseaux bénis,
Respectés par nos mains cruelles.

On aime à vous suivre des yeux,
Chasseresses de noir vêtues ;
Vos larges becs laborieux
S'ouvrent, et vos ailes pointues
Touchent la terre ou vont aux cieux !

Que de sveltesse et d'harmonie
Dans la courbe de vos essors,
Quand vous filez, ivres de vie,
Comme des flèches, sans efforts,
Avec une grâce infinie !

Les moucherons, danseurs légers,
Formant en l'air de fins nuages,
Valsent, ignorant les dangers ;
Mais dans vos becs prompts et sauvages,
Leurs bals d'un moment sont plongés.

Vos petits, dont la faim s'aiguise,
Ne savent pas voler encor ;
Dans leur nid, sous la voûte grise
Où l'eau jette ses reflets d'or,
Ils attendent, bec à la brise.

Tantôt par les grands jours brillants,
Vous planez, essaims circulaires,
Pleins de caprices ondulants,
Et l'on voit briller, taches claires,
Vos jolis petits ventres blancs ;

Tantôt, sûr présage de pluie,
Chantant haut, vous rasez le sol
Où l'insecte se réfugie,
Et vous frôlez dans votre vol
Les blancheurs de la route unie.

Que de coups d'aile et de travaux,
Petites mères hirondelles !
Que de soucis toujours nouveaux !
Et combien vous semblez cruelles
Aux mouches des airs et des eaux !

Mais quand septembre aux nuits voilées,
Mêlant du froid à ses douceurs,
Embrume forêts et vallées,
Pour émigrer avec vos sours,
Vous êtes bien vite assemblées.

Tristement nous irons vous voir
Vous grouper sur la vieille église
Au sommet doré par le soir,
Quand le rouge soleil s'enlise
Derrière un coteau déjà noir.

Le vieux pont de pierre, hirondelles,
Sera veuf de vos joyeux cris.
Et jusques aux feuilles nouvelles
N'aura, sous sa voûte aux tons gris,
Que le bruit des eaux éternelles !


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