LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



VIII. - EN ITALIE.
Turin.- Un beau pays. - Milan. - Venise ; ses monuments. - Les Apennins.- Le porc-épic. - Le golfe de Gênes. - Pise. - La Tour-Penchée. - Au bord de la mer. - La sèche. - L'argonaute. - Un charmant vaisseau.


Turin est une des plus belles villes de l'Europe : Ses grandes et magnifiques rues, tirées au cordeau, se coupent à angles droits et sont ornées d'une longue suite de portiques qui garantissent de la pluie et du soleil.

Cent dix églises ou chapelles dressent vers le ciel leurs coupoles élégantes ou les pyramides de leurs clochers.

C'est maintenant vers Milan que nous nous dirigeons à tire-d'aile. Nous ne sommes pas pressées d'atteindre le sud de l'Italie. La température est douce ; nous nageons dans une atmosphère embaumée, et les insectes sont abondants.

Nous traversons cette belle contrée, dans laquelle l'hiver ne dure pas plus de deux mois, et où, dès février, la terre se couvre d'une nouvelle et abondante verdure.

Au mois de mai, ce sont déjà les chaleurs ; la récolte des céréales et de la plupart des fruits se fait en juin et en juillet.

Milan est située dans une vaste plaine, sur les bords de l'Olona ; cette grande ville, de plus de 220,000 habitants, est la capitale de la Lombardie. Si ses rues étaient assez larges et bien alignées, elle mériterait le titre de magnifique : Les maisons de modeste apparence y sont plus rares que ne le sont ailleurs les palais.

L'immense esplanade qui entoure les restes de l'ancien château était un terrain humide et malsain qui, sous l'administration française, fut transformé en une superbe promenade ombragée de plus de 10,000 pieds d'arbres.

Voici une vaste place d'armes, un cirque immense, de construction moderne, qui peut contenir plus 30,000 spectateurs ; la vaste cathédrale gothique de Saint-Charles, des palais, des théâtres, des églises, des musées.

Quelques coups d'ailes nous conduisent à Monza, un peu au nord de Milan, sur les bords du Lambrola : Nous nous répandons autour (lu palais et de la cathédrale, dont le trésor, l'un des plus riches de l'Italie, possède la fameuse couronne de fer des anciens rois lombards.

Nous apercevons Bergame, Brescia, Vérone, et nous nous arrêtons à Mantoue, bâtie au milieu d'un marais, dans une île du Mincio. Nous avons voulu saluer la patrie de Virgile et replier un instant nos ailes fatiguées sur le monument qui abrite les cendres d u Tasse.

La vallée du Pô qui, dans l'antiquité, était une contrée marécageuse ombragée par d'antiques forêts peuplées de sangliers, peut à peine, aujourd'hui, fournir assez de bois pour ses habitants ; mais de magnifiques prairies, arrosées par des ruisseaux qui descendent des Alpes, fournissent jusqu'à six récoltes dans la même année.

A mesure que nous approchons des côtes du golfe Adriatique, les lagunes s'étendent ; leurs eaux verdâtres et croupissantes répandent sur les habitations qui les entourent l'influence la plus pernicieuse : Partout on voit des visages pales et des êtres las. Bientôt les lagunes paraissent se confondre avec le golfe, et nous apercevons Venise sortant du sein de la mer, principale source de sa richesse, élément de son antique puissance.

Cette ville, la plus singulière de l'Europe, et peut-être du monde, sort d'un vaste marais, et s'appuie sur le sol de cent cinquante îles qui, réunies. par plus de trois cents ponts, semblent n'en faire qu'une.

Sa circonférence est d'environ douze kilomètres ; un grand canal, qui la divise en deux parties égales, en est la rue principale ; d'autres canaux, plus étroits, forment les rues secondaires, bordées de maisons, dans lesquelles le bruit des rames remplace le fracas des voitures.

Malgré son voisinage, Venise n'éprouve pas la maligne influence des lagunes ; le mouvement continuel des flots vivifie l'air et l'assainit. Son sol ne renferme pas de sources : Cent soixante citernes publiques et un certain nombre de citernes particulières fournissent l'eau à ses habitants.

" L'église de Saint-Marc, l'un de ses principaux édifices, n'est cependant ni la plus belle, ni la plus riche en ornements, et l'on dit avec raison qu'elle ne ressemble à rien au monde.

" Sa façade, longue et écrasée, présente cinq grandes arcades formées par des portes de bronze ; au-dessus et tout autour règne une tribune qui, sur la face principale, supporte les quatre fameux chevaux de bronze, qu'on prétend avoir été fondus à Corinthe, d'où ils furent transportés à Athènes, qui servirent d'ornements aux arcs de triomphe élevés à Néron et à Trajan, à Rome ; qui accompagnèrent Constantin à Byzance, qui furent transportés de Constantinople à Venise, au Xllle siècle, et qui, sous le règne de Napoléon le'', ornèrent la place du Carrousel, à Paris, d'où, en 1815, ils retournèrent à celle qu'ils occupent. Leur enlèvement fut un jour de deuil pour le peuple parisien, qui sentait l'humiliation de la conquête ; leur réinstallation fut une fête pour le peuple de Venise : on aurait dit qu'il recouvrait, avec ces monuments de son ancienne gloire, sa primitive indépendance ; et cependant, quelques jours après,

Lorsqu'on renversa sa statue colossale de Napoléon, ce même peuple murmura (1). "

La place Saint-Marc se distingue par sa magnificence. Deux colonnes de granit, chacune d'un seul bloc, supportent la statue de saint Théodore, et le lion ailé de saint Marc qui, pendant quelques années, orna l'esplanade des Invalides, à Paris.

Une foule de palais et de beaux édifices servent de ceinture à cette place admirable, qui est le rendez-vous principal des promeneurs et le théâtre des grandes fêtes publiques.

Le palais ducal, ancienne résidence des Doges de Venise, et qui fut plus d'une fois ensanglanté, est un édifice immense, encombré des richesses artistiques les plus rares.

Toutes ces splendeurs attestent l'ancienne prospérité de la reine de l'Adriatique et font ressortir tristement sa décadence.

Les chefs ont donné le signal du départ : Il faudra, pendant de longs jours, s'enfoncer toujours plus loin dans le Sud

Cette ville que nous voyons au-dessous de nous, c'est Ferrare, un des principaux centres littéraires de l'Italie. Voici encore des palais, des églises, des tours, des fontaines ; c'est aussi une opulente cité, c'est Bologne, la ville la plus importante de la â omagne.

Et puis, c'est encore une barrière comme celle des Alpes : C'est la haute muraille des Apennins, qui commence au Tanaro, près de l'endroit où nous avons franchi les Alpes, pour ne se terminer qu'à l'extrémité de l'Italie.

Les oiseaux de proie y sont très nombreux ; aussi reçûmes-nous l'ordre de serrer nos bataillons et de ne nous éloigner sous aucun prétexte. Malgré toutes nos précautions, il y eut encore des victimes. Un faucon, qui semblait tomber des nues, tant son apparition fut inopinée, fondit sur l'arrière de notre colonne et s'empara de deux des nôtres, qu'il eut promptement dévorées.

Je vis, dans ces montagnes, des chamois, des chèvres sauvages, des furets, des lemmings, espèce de rats, dont les migrations périodiques sont de véritables fléaux pour les récoltes. C'est encore dans les Apennins que j'aperçus, pour la première fois, le Porc-épic.

Ce singulier animal a la tête, la queue et la partie supérieure du corps couvertes de longues épines qu'il peut redresser à volonté. Les poils du dessus du corps sont courts et bien moins épais et épineux que les autres. Les piquants, annelés de blanc et de noir, atteignent parfois trente-trois centimètres de longueur.

La physionomie du porc-épie est grossière, sa démarche est lourde, ses formes sont épaisses. 11 creuse des terriers profonds, et ne sort que pour chercher sa nourriture, qui se compose de racines, de bourgeons et de fruits sauvages.

Lorsque l'animal est effrayé ou irrité, il redresse ses piquants ces armes se détachent aisément ; mais ce serait une erreur grossière de croire qu'il les lance à volonté contre ses ennemis. Sa voix ressemble au grognement du cochon, ce qui, avec la forme de sa tête, lui a valu le nom sous lequel il est connu.

Du haut des Apennins, nous apercevons Pistoie, ville près de laquelle le brave Mura t subit une défaite ; Lucques, qui offre l'aspect d'une ville du nord ; et, comme un large ruban d'argent, l'Arno, qui coule un fond d'une riche vallée.

C'est la seconde région de l'Italie, avec ses terres bien cultivées, qui s'élèvent en pente sur les flancs des montagnes ; avec ses ferrasses soutenues par des murs de gazon, dont la verdure, sur laquelle se détachent de pâles oliviers et des arbres couverts de fruits ou de fleurs, donne aux coteaux l'aspect le plus riant et le plus plantureux.

Là-bas, c'est la mer bleue, c'est le golfe de Gênes ; encore quelques coups d'ailes, et nous nous reposons sur un des édifices les plus singuliers du monde, sur ce fameux campanile 'Porto, mieux connu sous le nom de Tour-Penchée de Pise. C'est du haut de ce monument que l'immortel Galilée fit des expériences célèbres.

La base du campanile Torto, ornée de colonnes, supporte six rangs d'arcades surmontées d'une tour d'un diamètre moins considérable que la base. Sa hauteur est de soixante-quatre mètres, et son inclinaison est de cinq mètres.

Est-ce intentionnellement que l'architecte a accompli ce miracle d'équilibre ? est-ce, au contraire, un affaissement du sol qui a donné à la tour cette étonnante inclinaison ? - Cette question, qui a été souvent posée, ne sera probablement jamais résolue.

Pise est une des plus belles villes de l'Italie, qui ne compte aujourd'hui qu'environ 30, 000 habitants et qui, au moyen-âge, en avait plus de 150, 000.

Ses églises, sa belle cathédrale, ses jardins, son baptistère, son Campo-Santo, ses monuments divers excitent l'admiration des étrangers.

C'est en errant sur les bords de la mer Thyrrénienne et du Golfe de Gênes, en chassant les insectes qui fréquentent le bord des eaux, que j'ai vu une multitude de poissons et de mollusques qui m'étaient inconnus. Les rochers, couverts de varechs et de fucus, servent de retraite à de nombreuses espèces non moins intéressantes que celles qui recherchent les plages couvertes de sables et de galets.

C'est au sein de la Méditerranée qu'habite la sèche commune, curieux mollusque que les pêcheurs recherchent, moins pour sa chair que pour sa coquille intérieure et sa bourse à encre. C'est la sèche qui, lorsqu'on la poursuit, rejette une liqueur noirâtre dont on fait une couleur appelée sépia. La coquille interne. connue sous les noms d'os de sèche ou biscuit de mer, est composée d'une infinité de lames calcaires très minces, parallèles, jointes ensemble par des milliers de petites colonnes creuses qui vont perpendiculairement de l'une à l'autre. On l'emploie pour polir divers objets, et on la donne aux oiseaux de volière pour s'aiguiser le bec et pour qu'ils puissent y puiser la chaux nécessaire au développement et à la nutrition des os.

C'est dans ces mêmes eaux que j'ai admiré un autre singulier  mollusque, de la famille des poulpes, connu sous le nom d'argonaute papyracé.

La coquille, mince, transparente, fragile, forme une élégante nacelle, et semble avoir fourni à l'homme l'idée des premiers navires, de même que l'animal qui l'habite paraît lui avoir donné les premières leçons de navigations.

L'argonaute est herbivore ; il recueille au fond de la mer les plantes qui font sa nourriture ordinaire, absolument comme nous butinons dans l'air les mouches et les moucherons qui nous servent d'aliments.

Veut-il s'élever à la surface, il forme un vide dans sa coquille par la manière dont il s'y place ; et, par sa propre légèreté, s'élève comme un ballon qui monte dans l'atmosphère.

Lorsque le temps est beau, il déploie deux légères membranes qui lui servent de voiles, il les élève à l'aide de deux de ses bras et les présente au vent dont le moindre souffle les tend et met en mouvement le léger esquif.

Quatre autres bras lui servent de rames et sont utilisés quand le calme est trop profond ; et deux autres encore, croisés en arrière, font l'office de gouvernail.

Ce charmant vaisseau, dont le propriétaire remplit à la fois les fonctions de matelot, de rameur et de pilote, vogue légèrement à la surface de la mer. Ce n'est qu'à force d'adresse et de vigilance que l'argonaute échappe à la voracité des habitants de la mer.

Doué d'une excessive prudence, qualité indispensable au navigateur, dès que la tempête commence à agiter les flots, il se renferme dans sa coquille, et se laisse glisser au fond des eaux.

En un instant, il a déplié ses voiles, retiré ses rames, rentré son gouvernail, et, blotti tout au fond de sa demeure, il permet à l'eau de la submerger jusqu'au moment où le calme sera rétabli.

Accueil | Les hirondelles | Migration | Protection | L'homme et l'hirondelle | Actualités |
© 2002-2015 oiseaux.net