LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



XIV. - CHASSES ÉMOUVANTES.
Une chasse à la girafe. - Une belle conquête. - Fatigues oubliées. - Encore une belle victime. - La passion du chasseur. - Le lion chasseur de girafes. - Au bord d'une source. - Folle de terreur. - Un splendide coursier. - Dangereux voisin. - Un lion dans une maison.


C'est avec le plus vif enthousiasme que les naturalistes voyageurs ont parlé de la girafe et des difficultés qu'ils ont éprouvées pour atteindre ce royal gibier.

" J'établis mon camp sur le bord d'une rivière, dit un intrépide voyageur français, (1) et je me mis â parcourir la contrée dan l'intention de chercher des girafes et d'en tuer quelques-unes. Je comptais sur ce plaisir pour me dédommager des fatigues que je venais d'essuyer. Je n'atteignais cependant pas le but réel de mes excursions : deux fois déjà j'avais rencontré des girafes, et deux fois elles avaient employé tant de ruses, qu'après avoir été suivies toute la journée, elles avaient fini par m'échapper à la faveur de la nuit. Enfin se leva pour moi le jour que je regarde comme un des plus heureux de ma vie,

" Je m'étais mis on chasse aux premiers rayons du soleil. Après quelques heures de marche, nous aperçûmes, au détour d'une colline, sept girafes, qu'à l'instant ma meute attaqua. Six d'entre elles prirent la fuite ensemble, la septième, coupée par mes chiens, ne pus prendre la même direction ; je la suivis à toute bride, mais, malgré les efforts de mon cheval, elle gagna tellement sur nous, qu'en tournant un monticule elle disparut à ma vue et que je renonçai à la poursuivre. Cependant mes chiens, (lui n'avaient point perdu courage, ne tardèrent pas à l'atteindre. Bientôt même, ils la joignirent de si près, qu'elle fut obligée de s'arrêter pour se défendre. Du lieu où j'étais, je les entendais donner de la voix de toutes leurs forces, et ces voix me paraissant venir toujours du même endroit, j'en conjecturai que l'animal était acculé, faisait tête, et aussitôt je piquai dans sa direction. J'eus à peine tourné le monticule que je l'aperçus, entourée des chiens et les tenant à distance. J'approchai, je mis pied à terre, et d'un coup de carabine, je la renversai. Enchanté de mon succès, je revins sur mes pas pour appeler mes gens, et, tandis que je les cherchais, ma girafe s'était relevée, je crus que c'en était une autre que mes chiens attaquaient, et je courus vers elle, mais elle tomba pour ne plus se relever, au moment où j'allais lui tirer un second coup.

" Qui croirait qu'une conquête pareille excita dans mon âme des transports voisins de la folie ? Peines, fatigues, besoins cruels, incertitudes de l'avenir, dégoûts du passé, tout disparut, tout s'envola à l'aspect de cette proie nouvelle. Je ne pouvais me rassasier de la contempler ; j'en mesurais 'énorme hauteur, j'appelais, je rappelais tour à tour mes gons ; et quoique chacun, d'eux en eût pu faire autant, quoique nous eussions abattu de plus dangereux animaux, je venais, le premier, de tuer celui-ci, j'en allais enrichir la science, j'allais détruire des romans et fonder, à mon tour, une réalité. Ma girafe mesurait cinq mètres quarante-cinq centimètres, depuis le sabot jusqu'au sommet de la tête. "

Aucune plume, dit un autre voyageur (1), ne pourrait, donner une idée du plaisir qu'éprouve le chasseur à passer au milieu d'une troupe de girafes. D'ordinaire, ces animaux se sauvent au travers des buissons épineux, qui mettent en sang les bras et les jambes du chasseur. A ma première chas se dix girafes passèrent devant moi. Elles galopaient tranquillement, tandis que mon cheval était obligé de prendre son allure la plus rapide pour ne point demeurer en arrière.

" Je n'avais jamais ressenti, dans toute ma longue carrière de chasseur, une impression pareille à celle que j'éprouvai à cette vue. J'étais ravi par cette apparition splendide, je les suivais comme enchanté, je ne pouvais croire que je chassais des être réels, appartenant à ce monde. Le sol était ferme et dur. A chaque bond de mon cheval, je nie rapprochais du troupeau, je poussai enfin au milieu et en séparai la plus belle femelle. Celle-ci prit la fuite avec rapidité, sautant, galopant, cassant les branches avec son cou et sa poitrine et en jonchant ma route. A huit pas, je fis feu, et lui envoyai une balle dans le dos. Poussant mon cheval plus paré d'elle encore, je plaçai le canon de ma carabine à quelques pieds de la bête, et lui logeai ma seconde balle derrière l'omoplate, sans grand effet cependant. Elle prit le pas ; je mis alors pied à terre, et me plaçai devant elle, en rechargeant rapidement mes deux coups. La girafe s'étant arrêtée dans le lit desséché d'un ruisseau, je la tirai dans la direction du cœur ; aussitôt elle prit la faite, je rechargeai et la suivis à cheval ; elle s'arrêta de nouveau, je descendis une seconde fois et la regardai avec étonnement. Sa beauté me ravissait ; son ail doux et foncé, aux cils soyeux, me regardait avec une expression suppliante. Je fus saisi d'horreur du sang que je versais. M ais la, passion de la chasse l'emporta, j'épaulai, et ma balle frappa la girafe au cou. Elle se leva sur ses pattes de derrière, retomba en ébranlant le sol ; un flot de sang noir jaillit de la blessure, elle eut quelques convulsions et mourut. "

Mais il est temps de raconter la chasse émouvante et fantastique dont j'ai moi-même était témoin : Le gibier est encore une girafe, et le chasseur est un lion.

C'était au bord d'une source perdue au milieu des steppes et ombragée par de grands mimosas. Après une journée brûlante, nous nous étions baignées et désaltérées, puis, perchées sous les branches touffues, nous attendions le soleil du lendemain pour reprendre notre route vers le Sud.

Le soleil disparaissait à l'horizon lorsqu'un troupeau d'antilope s'avança vers cet endroit, sans doute bien connu, pour se désaltérer.

Le guide de la troupe s'approchait lentement, flairant et écoutant sans cesse. Après chaque pas, il s'arrêtait pour s'assurer que tout était calme et silencieux, ses yeux brillants cherchaient à percer l'épaisseur des longues herbes de la steppe. Bientôt, sans cause apparente, il se retourna brusquement, frappa du pied le sol, et, suivi de toute la bande, il s'éloigna de la source avec une vitesse incroyable.

Quel pouvait bien être le motif de cette fuite précipitée ? Rien rie troublait le silence du désert, et je n'entendais d'autre bruit que les hurlements lointains des chacals et des hyènes.

Cependant, un mouvement imperceptible des herbes attira mon attention, et j'aperçus un énorme lion, sa grosse tête appuyée sur ses pattes de devant qu'il léchait avec une satisfaction visible, indifférent, en apparence, à tout ce qui se passait autour de lui.

Bientôt un petit troupeau de girafes s'approcha à son tour de la source ; un grand mâle marche sans hésitation en avant ; sa sécurité paraît complète ; il n'est qu'à quelques mètres de son plus redoutable adversaire.

Le lion rampe lentement et silencieusement ; il calcule son élan. Tout à coup il bondit et tombe brusquement sur les épaules de la girafe qui, éperdue, folle de terreur, tente de fuir en emportant sur son dos le roi du désert.

Les angoisses mortelles qui s'emparent de la victime, les plonge, gagne la rive, sort de l'étang, et s'élance, à la poursuite de l'imprudent, qui cherche à se dissimuler dans un épais fourré où les lianes et les épines forment un enchevêtrement inextricable. Les piquants des mimosas blessent le chasseur, les épines recourbées mettent ses habits en lambeaux ; il court toujours devant lui, sans but, sans direction, couvert de sang et de sueur ; il renverse les obstacles, convaincu que ses efforts sont inutiles, car la brute est sur ses talons.

J'étais glacée d'effroi, et je faisais des vœux pour le salut de mon compatriote, lorsque soudain il me vint une de ces folles inspirations qui ne naissent que dans les grands dangers. Je me mis à harceler le monstre, suivie de celles de mes compagnes qui se trouvaient dans le voisinage : Nos cris, mille fois répétés, détournèrent pendant une seconde l'attention de l'hippopotame, et cette seconde suffit pour sauver le chasseur ; car l'animal ne l'apercevant plus, rebroussa chemin, et revint se plonger dans l'eau de l'étang. Le proverbe " On a souvent besoin d'un plus petit que soi D venait, une fois de plus, de recevoir son application ; mais le chasseur ne saura probablement jamais qu'une pauvre hirondelle d'Europe lui a sauvé la vie sur les bords de l'Atbara !

Cependant, des nègres montés dans un grand canot s'avançaient, à force de rames, à la rencontre de l'animal blessé qui, furieux en présence de ses nouveaux adversaires, poussait des grognements épouvantables. Avant qu'il eût eu le temps de se précipiter, une grêle de lances et de harpons, lancés par des mains exercées, s'implantèrent dans son corps et le firent ressembler à un gigantesque porc épie.

Mais tout n'était pas fini et l'hippopotame, revenant à la charge avec fureur, mit la barque en pièces et la broya entre ses dents ; les nègres s'éloignaient en plongeant et en nageant, et plus d'un, sans doute, aurait succombé sous les atteintes de l'amphibie, si le chasseur européen, remis de son émotion, n'était accouru à leur secours. Une nouvelle balle frappa dans un endroit vulnérable ; le monstre fit un bond, lançant des flots de sang par son énorme gueule, et bientôt son cadavre, amené près de la rive, fut traîné sur un banc de sable où les nègres l'eurent promptement dépecé.

Le Nil Bleu arrose un terrain fertile, il sort des montagnes et se précipite avec une immense vitesse comme un torrent rapide ; son nom lui vient de la transparence admirable de son eau limpide, qui réfléchit constamment un ciel sans nuages. Je rencontrai, sur les bords du Nil Bleu, de nouveaux représentants de notre famille, des martinets nains, au manteau gris cendré, aux ailes et à la queue brunâtres, avec la gorge plus claire.

J'avais remarqué autour des grands palmiers dont la cime se balançait au-dessus des autres arbres, de grandes bandes de ces mignons oiseaux. Ils allaient de côté et d'autre en poussant des cris perçants et revenaient toujours vers les palmiers, sur les feuilles desquels ils se posaient un instant pour repartir bientôt.

Ma curiosité étant excitée, je me mêlai à leur troupe ; j'aperçus de nombreux points blancs qui se détachaient sur le vert du feuillage et qui paraissaient attirer particulièrement les martinets. Je voulus vérifier ce que pouvaient être ces points blancs, et vous comprendrez ma surprise quand je reconnus qu'ils n'étaient autre chose que les nids de mes nouveaux amis.

La structure en est très singulière, et je n'avais pas l'idée d'un pareil berceau. La feuille du palmier, étant trop lourde pour être soutenue par son pétiole, se recourbe et pend verticalement ; en outre, la feuille elle-même forme avec le pétiole un angle aigu et le milieu de cette feuille est occupé par une sorte de gouttière. C'est dans cette espèce de rigole, que le martinet nain établit son nid ; il le compose de fibres de coton, agglutinées avec de la salive et solidement collées contre la feuille. L'excavation de cette frêle demeure a environ sept centimètres de diamètre ; elle est tapissée de plumes molles et douces, également fixées au moyen de salive contre les parois : deux oeufs sont déposés dans la jolie couchette.

Mais là ne s'arrête pas l'industrie du petit martinet : Par les grands vents, la feuille qui porte le nid est violemment agitée ; il fallait donc empêcher les oeufs et les petits d'être lancés au-dehors. Pour arriver à ce résultat, l'oiseau fait pour sa progéniture ce qu'il a fait pour le nid et pour les plumes qui le tapissent ; c'est-à-dire, qu'il colle avec sa salive les oeufs et les petits. Viennent le vent et la tempête, le palmier incline son tronc élevé, balance sa cime élégante, secoue ses feuilles pendantes, mais, l'arbre, les feuilles, le nid et la famille sont soudés ensemble, et la sécurité de la couvée est complète.

J'aurais pu, jusqu'au printemps d'Europe, me reposer dans cette contrée où vivaient heureux les martinets nains, les hirondelles filifères et des milliers d'oiseaux de toutes espèces. Mais ma destinée m'appelait dans d'autres pays. Je revins vers le Nil Blanc, et, toujours amplement pourvue de vivres, je me dirigeai vers la région dos lacs, suivie d'un assez grand nombre de mes compagnes.

Le fleuve est bordé d'épaisses forêts de mimosas dont le feuillage produit l'effet le plus pittoresque, et dont le sol n'est qu'un marécage affreux, entièrement submergé, où je revis de nombreuses troupes d'ibis. Du fond de ces eaux stagnantes et malsaines émergent des quantités d'arbres abattus, et, çà et là, j'apercevais une grue solitaire, perchée sur un tronc pourri.

Des plantes aquatiques réunies, enchevêtrées, massées ensemble, flottent comme des îles de verdure, qui s'arrêtent, interceptées

par les troncs et les branchages, ou qui descendent lentement le courant, emportant, comme autant de spectres, des grues, des cigognes, des ibis, voyageant sans fatigue sur ces radeaux naturels.

Je n'ai nulle part rencontré autant de moustiques, nous vivions au milieu de l'abondance, et il aurait fallu des légions d'hirondelles et de martinets pour contrebalancer la puissance de multiplication de ces malfaisants insectes dont l'homme a tant à souffrir.

Partout des marécages plats, des plantes aquatiques aussi variées que curieuses, et, sur les rives, de misérables sauvages absolument nus dans ces marais pleins de moustiques. Combien nous nous trouvions heureuses, en comparant notre sort à celui de ces misérables créatures !

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