LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



XIII. - LE LION ET LA GIRAFE.
Une nuit dans les steppes de la Nigritie. - Une attaque nocturne. - Le maître ! ... - La girafe. - La première girafe amenée en France. - Girafes et antilopes. - Un animal courageux.


Le voyage d'une hirondelle se fait rarement en ligne droite. Qu'est-ce, en effet, pour nos ailes puissantes, qu'un espace de quelques centaines de lieues à franchir !

Nous sommes dans un village des steppes de la Nigritie orientale, et l'entends, pour la première fois, le rugissement du roi du désert !

Le soleil vient de descendre au-dessous de l'horizon ; le pasteur nomade a rassemblé son troupeau dans l'espèce de camp retranché, entouré d'une épaisse palissade, haute de huit à dix pieds ; formée de branches de mimosas armées de leur puissantes épines : C'est l'abri le plus sûr qu'il puisse se procurer..

Les ombres de la nuit envahissent peu à peu le camp où le silence se rétablit ; on n'entend plus que les brebis qui bêlent doucement pour appeler leurs agneaux et les vaches qui ruminent.

Perchées sur les arbres voisins, nous murmurons notre chanson du soir : Quelques-unes de nous voltigent encore autour de l'habitation des pasteurs et glissent, comme des fantômes, au dessus du troupeau endormi.

Les hommes qui ont achevé leur tâche journalière mettent en liberté une meute vigilante et vont se livrer au repos.

Tout à coup, des aboiements se font entendre ; en un instant tous les chiens sont réunis et les valeureuses bêtes s'élancent clans les ténèbres ; le bruit d'un combat arrive jusqu'à nous Des aboiements furieux, un concert discordant, un cri enroué, une espèce de ricanement, éclatent dans la nuit ; puis, encore es aboiements qui, cette fois, retentissent joyeusement pour indiquer une victoire.

Une hyène avait rôdé autour du camp, et les courageux gardiens l'eurent bientôt mise en fuite par leur attitude résolue.

Le silence s'était de nouveau rétabli ; les chiens avaient repris leur garde ; pas un souffle n'agitait la cime des arbres, et le bruit mystérieux du désert me paraissait plein d'harmonie.

Tout à coup la terre paraît trembler ; un rugissement, semblable au bruit du tonnerre, est répercuté par tous les échos d'alentour : Un animal s'avance dans les ténèbres ; son attitude est calme et fière, son regard majestueux et imposant ; il porte la tête haute et secoue sa magnifique crinière. Il m'est encore facile, dans la demi obscurité qui règne autour de moi, de suivre tous ses mouvements.

Les brebis se heurtent follement contre la haie de mimosas, les chèvres bêlent, les vaches beuglent, les chameaux, frissonnant, font a tous leurs efforts pour briser leurs liens ; les chiens, ces vaillants défenseurs du troupeau, tout à l'heure si courageux, viennent, en hurlant, se réfugier aux pieds de leur maître, qui tremble sous sa tente et comprend l'inutilité de la résistance.

Un nouveau rugissement, plus terrible que le premier, éclate auprès du camp : C'est un tumulte indescriptible.

Que peuvent de pauvres gens armés de lances contre ce terrible ennemi dont les yeux flamboyants brillent d'un fauve éclat ?   Qui peut empêcher le maître d'égorger l'animal qu'il aura choisit

D'un bond prodigieux, le lion franchit la palissade ; sa victime est là : C'est un veau déjà fort qui d'un seul coup de patte est abattu les dents puissantes du fauve lui brisent les vertèbres ; fièrement campé sur sa proie, il fait entendre un grondement de satisfaction et fouette l'air de sa queue dont un seul coup peut terrasser un homme. De temps en temps il lâche la pauvre bête agonisante puis la broie, l'écrase de nouveau jusqu'à ce qu'elle cesse de remuer : Je me rappelle, dans ce terrible moment, le chat de mon hangar, jouant cruellement avec la souris qu'il se propose de dévorer.

Enfin le puissant animal songe à la retraite ; mais est-il possible qu'il emporte sa proie ?

Il saisit le veau dans sa robuste mâchoire ; il s'élance... . J'entends un bruit sourd, et je le vois fuyant à travers les broussailles, avec l'énorme fardeau qui va constituer son repas.

La présence du lion avait en quelque sorte suspendu la vie autour du campement ; bêtes et hommes étaient paralysés par la terreur ; son départ ramène la confiance, et le pasteur se soumet avec résignation au prélèvement de cette dîme, qu'il considère comme étant légitimement due au puissant ravisseur.

Quelques jours plus tard, j'assistai à une chasse du lion, plus émouvante encore il s'agissait cette fois d'animaux en liberté... Parmi les, êtres qui fréquentent le désert, il n'en existe pas de plus curieux que la girafe : Sa taille colossale, sa petite tête portée sur un très long cou, sa démarche majestueuse, sa robe élégante. ~n font une créature extraordinaire. Elle a le pelage de la panthère et quelque chose de la forme du chameau ; aussi les anciens l'avaient appelée caméléopard. On la rencontre, par petites troupes, dans les belles forêts africaines, et rien ne paraît plus singulier que de la voir brouter, d'un air tranquille, des branches de mimosas élevées à plus de six mètres du sol.

Voici comment un de vos savants (1) raconte l'histoire de la première girafe amenée vivante en France,

Le pacha d'Egypte, Méhémet Ali, qui avait déjà donné au roi de fort beaux animaux, tels que l'éléphant d'Afrique, des chevaux arabes, des gazelles, etc., consulta, sur un autre envoi qu'il voulait faire, le consul français ; celui-ci désigna une girafe, et le pacha en fit aussitôt demander dans le Sen Aar et au Darfour. De pauvres arabes, sur la lisière des terres cultivées entre ces deux grandes provinces, en nourrissaient deux très jeunes avec le lait de leurs chamelles. Elles furent bientôt conduites et vendues au gouverneur du Sen Aar, qui les envoya en présent à Le

Ces girafes firent route d'abord à pied, avec une caravane qui se rendait du Sen Aar à Si out, ville de l'Egypte supérieure ; ensuite elles furent embarquées sur le Nil, pour être transportées de Si out au Caire. Le pacha les garda trois mois dans ses jardins, voulant leur donner le temps de se reposer et de raffermir leur santé ; puis il les envoya, par la voie du Nil, à Alexandrie, où elles furent remises, l'une au consul de France, et l'autre au consul d'Angleterre.

La Girafe destinée au roi de France fat embarquée pour Marseille, sur un bâtiment sarde ; elle eut à souffrir quelques mauvais temps ; néanmoins, elle se remit très promptement, et elle fut placée dans les dépendances de l'hôtel de la Préfecture, où elle reçut dos soins qui furent efficaces, car elle n'a cessé de jouir, durant son séjour à Marseille, de la meilleure santé... Le trajet de Marseille à Paris, pendant la saison rigoureuse, aurait pu la fatiguer ; on la laissa passer l'hiver à Marseille, d'où elle ne partit que le 20 mai, voyageant à pied et à sï petites journées qu'elle n'arriva à Lyon que le 5 juin.

On n'avait jamais vu de girafe en France : ce n'est pas que l'espèce soit très rare ; mais, renfermée dans une vaste contrée coupée et bordée par d'immenses déserts, on a eu continuellement à lutter contre les difficultés de la sortir de son pays... C'est un animal des parties centrales de l'Afrique, et tant que nous ne connaîtrons que quelques points de la ceinture de cette vaste contrée du monde, une girafe, en Europe, y intéressera la blessures terribles qu'elle vient de recevoir l'arrêtent bientôt clans sa course désespérée. Des dents formidables s'enfoncent dans son cou dont les vertèbres sont broyées ; elle s'abat sous son vainqueur qui reste un instant couché sur elle, grogne, rugit, bat l'air de sa queue, suit tous ses mouvements, savoure son agonie, et s'abreuve de son sang .

Tous les voyageurs qui ont parcouru l'Afrique s'accordent reconnaître que l'homme est rarement l'objet des attaques du lion et quo les autres animaux féroces font beaucoup plus de victimes humaines.

Un matin, raconte un explorateur, après avoir passé la nuit couché par terre à la porte de ma cabane où reposait un nègre, l'homme le plus marquant du village, je lui dis que j'avais en tendu remuer de l'autre côté de la haie d'épines à l'abri de la- quelle j'étais couché j'en concluais qu'une partie du bétail devait s'être échappé pendant la nuit.

- Non, répliqua mon hôte, j'ai vu la trace ce matin, c'était le lion, " et il ajouta que, quelques nuits auparavant, ce lion avait franchi la haie â l'endroit même où j'étais couché, et qu'il s'était emparé d'une chèvre avec laquelle il s'était sauvé par un autre côté de l'étable. Puis, il me montra des restes de nattes qu'il avait arrachés de sa cabane et qu'il avait brûlés pour effrayer l'animal. Je lui demandai comment il avait pu avoir l'idée de me faire coucher précisément en cet endroit.

- Oh ! reprit-il, le lion n'aurait pas eu l'audace de sauter sur vous.

Les exemples d'enfants attaqués par des lions sont plus rares encore ; et l'on cite des cas où le redoutable animal a pénétré dans une habitation sans faire de mal û personne.

Un colon de l'Afrique du sud a raconté le fait suivant

N Ici, dans la maison, était assise ma femme, les enfants jouaient auprès d'elle, et moi, j'étais occupé à ma voiture, à côté de l'habitation.

Tout à coup, en plein jour, un lion énorme vint se coucher, à l'ombre, sur le seuil de la porte. Lia femme, que la peur avait pétrifiée et qui connaissait tous les dangers de la fuite, resta en la les enfants cherchèrent un refuge sur son coeur. Leurs cria éveillèrent mon attention, j'accours, et vous pouvez vous figurer ma stupéfaction en voyant la porte ainsi barrée.

L'animal ne m'avait pas aperçu ; mais, comme j'étais sans armes, je ne vis aucune chance de salut. Cependant, je m'étais instinctivement reculé du côté de la maison où se trouvait la fenêtre de la chambre dans laquelle était mon fusil. Par un hasard providentiel, j'avais placé l'arme dans le coin le plus rapproché de la fenêtre, de sorte que je pus l'atteindre du dehors, car la fenêtre eût été trop petite pour me livrer passage ; par un bonheur non moins grand, la porte de la chambre était ouverte et me permettait d'embrasser d'un coup d'oeil cette scène terrible.

Le lion fit un mouvement, peut être pour sauter ; je n'hésitai plus. Encourageant à voix basse la mère, je visai le front du lion, et 'a balle, frisant les boucles de cheveux d'un de mes enfants, étendit raide mort le redoutable animal.

Mais ces histoires de lions me font oublier mon voyage. Et puis, vous seriez peut-être tentés de vous demander comment une hirondelle a été informée de toutes ces choses qu'elle n'a pas vues !

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