LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie
Avant de poursuivre, je dois encore un souvenir de reconnaissance à mes bons parents, pour tous les soins dont ils ont entouré ma faiblesse. Lorsque nous étions privées de plumes, notre mère restait doucement étendue sur le nid ; c'est à peine si de temps en temps elle nous quittait pour chercher sa nourriture et la nôtre ; elle nous nettoyait avec son bec et rejetait nos excréments hors du nid ; notre père l'aidait dans tous ces travaux. Ils savaient, suivant notre âge, varier la qualité et la quantité de nos aliments, dont ils ne nous accordaient jamais, malgré nos cris et nos caresses, au-delà de ce qui était nécessaire. Lorsque les plumes qui succèdent au duvet eurent acquis assez de grandeur pour nous conserver pendant longtemps notre propre chaleur, ils ne nous abritèrent plus que pendant la nuit, et seulement quelquefois pendant le jour. Mais bientôt ce fut parmi nous un grand émoi ! ... Les grandes plumes de nos ailes avaient acquis assez d'étendue pour qu'il fût possible de les essayer: Nos parents nous invitèrent à quitter le nid ; ci, pour forcer les récalcitrantes, ils cessèrent de nous apporter la nourriture qu'ils nous présentaient à quelque distance, pour nous obliger à venir la chercher. Cet exercice avait commencé avec l'aurore, et nos excellents hôtes, qui s'en étaient aperçus, avaient heureusement éloigné le chat. Toute la famille était pleine d'agitation et de sollicitude : Nos cris répétés indiquaient nos besoins pressants et exprimaient encore mieux la défiance que nous avions de nos forces pour un essai que nous n'avions pas encore fait. Nos parents, partagés cuire la tendresse qui les poussait vers nous et la nécessité qui les en tenait éloignés, manifestaient parleurs mouvements la force de ce double sentiment: Ils s'approchaient, s'éloignaient, nous invitaient et nous encourageaient. Le besoin qui nous pressait et nous commandait nous détermina enfin, nous étions sur le bord du nid, notre premier essor nous porta sur une des roues de la petite charrette, puis, nous élançant vers nos parents qui s'éloignaient, nous nous trouvâmes Bientôt réunies sur le faîte de la maison voisine. Ce premier essai tenté, cette première sortie exécutée, nous communiquèrent la confiance qui nous était indispensable ; et guidées par notre père et notre mère, nous pûmes, vers le soir, regagner notre nid sans trop de difficulté. Les courses proportionnées à nos forces et à notre expérience s'étendaient de jour en jour, et le temps approchait où nous pourrions nous pourvoir nous-mêmes. Tous ceux qui ont vécu à la campagne savent que notre chant, gai et joyeux, est, chaque matin, le premier à se faire entendre: A peine la ligne grise qui marque l'approche du jour commence t-elle à se dessiner à l'Orient, que nous commençons à nous réveiller de notre sommeil, quand tous les oiseaux sont encore endormis. Partout règne le silence, les objets se distinguent à peine à la lueur douteuse de l'aube matinale, que nous avons déjà répété notre chanson et quitté notre retraite. Ce n'est qu'un peu plus tard que 'les autres oiseaux s'agitent à leur tour : Du haut du toit, le rossignol de muraille se fait entendre ; les moineaux babillent, les pigeons roucoulent ; et ; dans le lointain, le merle fait éclater sa fanfare. De toutes les hirondelles, nous sommes les pins vives et les plus rapides : Il fallait nous voir, chaque matin, nous élançant dans l'air pur, saluer de nos cris de joie la flèche de l'église, frire, en passant, une petite pause sur le coq du clocher ; puis, glissant en quelque sorte clans l'espace, chasser au-dessus des herbes humides de la grande prairie tout imprégnée de senteurs pénétrantes. Tantôt planant, tantôt agitant vivement nos ailes, nous savions nous détourner avec la promptitude de l'éclair, monter, descendre, raser le sol, franchir le rideau de peupliers, glisser à la surface de l'eau, nous y plonger sans interrompre notre vol, secouer nos plumes humides sur la tète du pêcheur silencieux, dont la barque suivait doucement le cours de la rivière sous l'ombre épaisse des aulnes et des saules. Du château à l'église, de l'église au château, c'était, du matin au soir, un va-et-vient continuel, accompagné de gazouillements joyeux, indices certains que les soucis n'avaient pas encore, effleuré notre existence. Notre activité à chasser et à détruire les insectes nuisibles à l'agriculture semblait correspondre à celle de ces honnêtes cultivateurs que notre famille a, depuis des siècles, appris à connaître et à. aimer. Nous avons assisté à leurs peines et à leurs joies : Nous les avons vus ouvrir le sillon qu'ils arrosaient de leurs sueurs, faucher l'herbe odorante destinée à la nourriture du bétail, moissonner l'épi doré ou presser clans les cuves le raisin vermeil. Nous avons entendu les cloches de la vieille église carillonner gaiement le baptême du nouveau-né, ou le mariage des jeunes époux et nous nous sommes associées à leur deuil quand le glas funèbre nous disait qu'un de ces braves cœurs allait là-bas, sous les grands noyers, dormir du sommeil éternel ! ... La vie des hirondelles, comme celle des hommes, est semée ; plaisirs et de douleurs, d'espérances et de regrets ; chez nous, comme chez eux, la mort moissonne et éclaircit les rangs. Il y avait à peine deux mois que, confiantes dans la puissance de nos ailes, nous avions abandonné nos parents, lorsqu'un malheur irréparable vint nous frapper. L'histoire du chat était depuis longtemps oubliée ; et puis, qui donc oserait nous poursuivre dans les hauteurs (lu ciel ? Nous en étions encore à ignorer, nous qui, chaque jour, immolions des milliers de victimes, que l'air, comme la terre et comme l'eau, a ses tyrans, et que, partout et toujours, il faut soutenir la lutte pour l'existence. Aucune race n'est exempte de cette nécessité fatale, et le Roi de la création est peut-être celui qui y échappe le moins. Un jour, nous étions à folâtrer au pied des murailles du château, nous glissions, en poussant de petits cris, entre les branches échevelées des grands saules pleureurs, lorsqu'un oiseau de proie s'élança du sommet d'une des tours et fondit sur nous. Nous n'avions pas eu le temps de nous rendre compte de cette attaque que déjà l'une de nos sœurs était capturée. L'ennemi qui l'emportait dans ses griffes jaunes, pourvues d'ongles noirs, avait la tète cendrée et le dessus du corps d'un roux veineux parsemé de taches noirâtres ; le plumage inférieur était roussâtre et portait des mouchetures noires : C'était une crécerelle. Dès que le premier moment de surprise fut passé, nous nous élançâmes à la poursuite de l'oiseau ; nous le harcelâmes de nos cris et de nos coups de bec ; il y perdit quelques plumes, mais il ne lâcha pas sa proie. Que pouvait tout notre courage contre son puissant bec crochu et ses griffes formidables ! II alla s'appuyer au sommet d'une tour, et, sans se préoccuper de notre concert de malédictions, il enleva à notre pauvre sœur toutes ses plumes, et la dévora toute palpitante. J'appris, dans la suite, que la crécerelle fréquente souvent les tours des vieux châteaux et qu'elle est extrêmement dangereuse pour les petits oiseaux. Elle enlève quelquefois des perdrix et des pigeons ; mais les mulots et les souris constituent, avec les insectes, le fond de sa nourriture, Lorsqu'elle a découvert une proie, elle s'élance comme un trait et l'atteint généralement du premier assaut ; si le gibier échappe, elle le poursuit avec une telle vitesse et tant d'acharnement qu'elle se précipite souvent, sans la prévoir, dans les plus grands dangers. Je fus un jour témoin d'une de ces attaques où l'agresseur devint la victime. C'était peu de temps après la scène du château : Ce malheur nous avait rendu circonspectes ; nous nous éloignions prudemment de tout ce qui nous semblait suspect. J'ai dit que nous nous réunissions fréquemment autour de la vieille église, dont les fenêtres étaient souvent ouvertes : L'un de nos amusements favoris était d'entrer par une fenêtre et de sortir par l'autre Quelquefois nous chassions, clans le temple, les insectes qui s'y réfugiaient. Nous nous savions là en sécurité, et ni la lumière des cierges, ni le chant des fidèles, ni la voix de l'orgue ne nous effrayaient. Cependant, une crécerelle qui planait à une grande hauteur, nous avait aperçues dans le cimetière ; elle se précipita en poussant un cri de combat, elle avait mal calculé son élan et manqua celle de nous qu'elle visait ; d'abord déconcertée, elle se remit à notre poursuite et entra avec nous dans l'église où elle ne devrait pas à être prise. Je ne sais ce qu'elle devint, mais je fis des vœux, pour que sa fin fût moins cruelle que celle qu'elle avait fait subir à notre sœur. |
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