LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



XV. - LE RHINOCÉROS D'AFRIQUE.
Un beau pays. - Le rhinocéros. - Pris au piège. - Victoire facile. - Lutte dangereuse. - Caché dans l'herbe. - Un coup de feu. - Courageux auxiliaires. - Attaque générale. - Blessé à mort. - Un homme en danger. - Un cheval éventré. - Les cornes des rhinocéros.


Rien ne peut donner une idée de la beauté du pays que nous traversions alors ; ce n'était plus l'aspect désolé du désert : Des rivières aux eaux limpides se précipitaient à grand bruit en une suite de cataractes ; de superbes forêts s'étendaient sur leurs bords ; des plantations de palmiers, de bananiers, de dattiers faisaient de cette contrée un immense et splendide jardin : C'est que nous approchions de la région des lacs et nous avions un étonnant exemple de ce que peuvent, pour la végétation, l'eau et le soleil réunis ! Dans les interstices formés des rocs de granit ou de porphyre rouge, croissaient des arbustes magnifiques, des euphorbes gigantesques, des milliers de plantes inconnues ; de tous côtés s'épanouissaient des multitudes de fleurs aux couleurs les plus vives et les plus variées.

De nombreux hippopotames se jouaient dans les eaux, et partout eu s'élevait quelque banc de sables, on voyait de monstrueux crocodiles étendus paresseusement au soleil.

Parfois aussi, un éléphant colossal venait se baigner dans l'eau limpide où il se plongeait entièrement, ne laissant apparaître que l'extrémité de sa trompe ; puis il revenait sur la rive, secouait son corps ruisselant, et bientôt disparaissait dans le fourré.

J'avais déjà fait connaissance avec bien des animaux monstrueux et bizarres, lorsque je rencontrai le rhinocéros. Cet animal, qui approche de l'éléphant par son volume, paraît beaucoup moins grand parce que ses jambes sont plus courtes. Il est mal bâti, les oreilles longues, les yeux petits, et se fait remarquer par la corne tantôt simple, tantôt double, qu'il porte sur le nez.

La peau du rhinocéros est excessivement épaisse et son cuir plus dur et plus résistant que celui d'aucun autre animal ; elle est partout plus ou moins couverte d'espèces de grosses verrues, sortes d'incrustations en forme de tubérosités. Cette peau forme sur le cou un gros pli ; un autre bourrelet, qui descend sous les jambes de devant, règne à la jointure des épaules, et il en existe, entre le corps et la croupe, un semblable qui descend au-dessous des jambes de derrière. On a comparé le tout à un baudrier, ou à une espèce de housse dé selle, dont l'animal serait recouvert.

Le rhinocéros d'Asie n'a qu'une corne sur le nez ; le rhinocéros d'Afrique, plus petit, porte deux cornes superposées, et passe pour être le plus féroce.

Nous nous reposions au sommet d'un grand palmier, lorsqu'un Bruit de branches rompues, d'obstacles renversés, nous indiqua qu'un animal de grande taille se dirigeait vers le marais voisin ; il ne tarda pas à paraître, soufflant, grognant avec force, la tête penchée vers le sol, de temps en temps labourant la terre avec, sa double corne. Il allait atteindre les touffes épaisses de papyrus qui croissaient au bord de l'eau, lorsque le sol s'effondra sous ses pieds et il disparut dans une excavation profonde, en poussant des grognements de fureur.

Bientôt des nègres, cachés dans les buissons voisins, et qui, sans doute, avaient prévu la chute du monstre, se précipitèrent vers le trou, et, au moyen de leurs lances et de leurs sagaies, mirent à mort l'animal qui faisait de terribles efforts pour échapper au piège dans lequel il s'était étourdiment précipité.

Les peuples de l'Afrique usent souvent de ce stratagème pour s'emparer des grands animaux qu'ils redoutent.

Ils ouvrent, dans les lieux que ces animaux fréquentent, de larges fosses, qui vont en se rétrécissant vers le fond ; ils les couvrent de branches d'arbres et de gazons disposés de telle sorte que rien ne fait supposer la présence du piège. Un pieu dur et pointu a été enfoncé au milieu de l'excavation. Lorsqu'un éléphant ou un rhinocéros passe sur une de ces fosses, la couche de branchages et de gazon s'écroule sous son poids et l'animal, en tombant, rencontre le pieu qui lui transperce la poitrine.

J'avais atteint la Cafrerie et je me reposais sur les rives du Zambèze, lorsque je fus témoin d'une autre chasse au rhinocéros. Deux de ces animaux paissaient tranquillement au milieu d'une vaste plaine, pendant qu'un groupe de chasseurs, au milieu desquels se trouvaient deux Européens, prenaient de grandes précautions pour les approcher sans être vus ni éventés, ce qui ne semble pas facile. Deux chiens vigoureux étaient tenus en laisse et donnaient des signes d'une grande impatience.

Après avoir fait un long détour pour prendre le dessous du vent, les chasseurs gagnèrent le bord du fleuve dont ils suivirent le cours à l'abri des grands arbres qui le bordaient. Les rhinocéros gardaient l'immobilité la plus complète ; et on les eût pris pour deux blocs de granit si de temps en temps ils n'avaient relevé la tête pour porter le nez au vent, et jeter un coup d'oeil eu arrière pour veiller de toutes parts à leur sûreté.

Bientôt un des indigènes, armé de son fusil, se coucha dans l'herbe et se mit à ramper sur le ventre, comme un serpent, dans la direction des animaux, pendant que ses compagnons se rendaient, par des détours, aux différents postes que leur indiquaient les hommes blancs ; les chiens restaient cachés derrière un épais buisson.

Le nègre avançait lentement et avec tant de précautions qu'on

ne voyait pas remuer un brin d'herbe autour de lui ; cependant les mouvements d'observation et de crainte des animaux devinrent plus fréquents ; mais chaque fois qu'ils tournaient la tête, le chasseur prenait une attitude telle qu'il ressemblait à un éclat de roche. Ce manège continua jusqu'à ce qu'il fût arrivé derrière une grosse touffe d'euphorbe formant un buisson où i1 pouvait se cacher en se relevant.

Après s'être assuré d'un coup d'oeil que tous ses camarades étaient à leur poste, il se prépara à tirer ; il attendit qui le plus gros des rhinocéros se détournât ; il l'ajusta à la tête et fit feu. Blessé du coup, l'animal poussa un cri effroyable et, suivi de son compagnon, courut avec fureur vers le lieu d'où le bruit était parti.

Je m'attendais à voir les deux monstres renverser le buisson, écraser le malheureux chasseur et le mettre en pièces ; mais il s'était couché à plat ventre, et la ruse lui réussit ; les animaux passèrent près de lui sans l'apercevoir et s'élancèrent en ligne droite vers l'un des Européens.

Les chiens, excités par le coup de fusil et ne pouvant plus être contenus, furent détachés et lâchés contre les rhinocéros, qui, à leur vue, firent un crochet et allèrent donner dans une embuscade où ils essuyèrent plusieurs coups de feu, les chiens, de leur côté, les harcelaient à outrance, ce qui accroissait encore leur rage. Ils détachaient contre les courageuses bêtes des ruades terribles ; ils labouraient la plaine de leurs cornes et y traçaient de profonds sillons ; ils lançaient autour d'eux une grêle de pierres et de cailloux.

Pendant ce temps, le cercle des chasseurs se rétrécissait afin de les cerner de plus près. Ce grand nombre d'ennemis dont ils se voyaient entourés les mit dans une fureur inexprimable. Le plus à celui qui était blessé, s'arrêta et fit tête aux chiens pour les attaquer et les éventrer ; mais, pendant qu'il les poursuivait, son compagnon se détacha de lui, gagna au large, et disparut derrière un buisson.

Cette fuite parut n'être pas désagréable aux chasseurs qui, malgré leur nombre et leurs armes, couraient de grands dangers en présence de deux adversaires aussi formidables.

Les traces de sang que le blessé laissait sur son passage annonçaient qu'il avait reçu plus d'une blessure ; mais il n'en mettait que plus de rage à se défendre.

Cependant, après quelques instants d'une attaque forcenée, il battit en retraite, avec l'intention visible de s'appuyer contre un buisson pour n'avoir plus à se défendre que par devant.

Le chasseur blanc devina sa ruse ; il se jeta vers le buisson, en faisant signe à deux autres tireurs de s'y porter aussi : Ils le visèrent tous trois en même temps, lâchèrent leurs trois coup à la fois, et l'animal tomba pour ne plus se relever.

Les chasseurs poussèrent un cri de triomphe.

Quoi que blessé à mort, le rhinocéros, couché à terre, se débat- tait comme il l'avait fait debout. Ses pieds lamaient autour de lui des monceaux de pierres, et personne n'osait l'approcher. On lui épargna les tourments de l'agonie en lui envoyant une dernière balle.

Aussitôt les nègres se précipitèrent sur la monstrueuse victime et recueillirent son sang, auquel ils attribuent la propriété de guérir une foule de maladies.

La chasse du rhinocéros est souvent fort dangereuse. Au retour d'une chasse à l'éléphant, raconte le célèbre voyageur Anderson, je vis, à une faible distance, un grand rhinocéros blanc. ? e montais un excellent cheval de chasse, le meilleur que j'aie jamais possédé. J'avais l'habitude de ne point chasser le rhinocéros à cheval, car on peut l'approcher bien plus facilement lorsqu'on est à pied. Cette fois, cependant, il me semblait que le sort en décidait autrement. Me tournant vers mes compagnons

Par le ciel, m'écriai-je, le camarade a une bien belle corne ; je veux le tuer.

Aussitôt, j'éperonnai mon cheval, j'eus bientôt rejoint l'animal et lui logeai une balle dans le corps, mais sans le blesser mortellement.

" Au lieu de prendre la fuite comme d'ordinaire, le rhinocéros resta immobile, à ma grande stupéfaction ; puis tout à coup se retourna, et après m'avoir considéré un moment, s'avança lentement vers moi. Je ne pensais pas à prendre la fuite, néanmoins je cherchai à éloigner mon cheval.

" Mais lui, d'ordinaire si docile, qui obéissait à la plus légère secousse des rênes, refusa de bouger, et quand il le fit, il était trop tard ; le rhinocéros était tout près une rencontre était inévitable.

Je le vis baisser la tête, puis la relever brusquement, en enfonçant sa corne entre les côtes de mon cheval, et avec une telle violence qu'elle lui transperça le corps, la selle avec, et que j'en sentis la pointe acérée pénétrer ma jambe. La force de ce coup fut telle, que le cheval fit une véritable culbute, les jambes en l'air, et tomba sur le dos.

" Pour moi, je fus violemment lancé à terre, et à peine étais je tombé que je voyais près de moi la corne de l'animal ; mais sa fureur était calmée, sa vengeance assouvie. Il quitta au petit galop le théâtre de ses exploits.

" Mes compagnons étaient arrivés sur ces entrefaites. Courant à l'un d'eux, je pris son cheval, je sautai en selle, et, sans chapeau, le visage plein de sang, je m'élançai à la poursuite de l'animal.

" Quelques instants après, je le voyais, à ma grande joie, étendu à mes pieds. D

On rencontre souvent, en compagnie du rhinocéros, un oiseau qui presque toujours l'accompagne et lui sert de sentinelle. Ce petit compagnon de l'énorme animal se nourrit de la vermine qui pullule sur son corps.

La corne simple ou double du volumineux pachyderme est placée plus avantageusement que celles des ruminants : Elle défend toutes les parties antérieures du museau et préserve le mufle, la bouche et la face, en sorte que le tigre s'attaque plus volontiers à l'éléphant dont il saisit la trompe, qu'au rhinocéros qu'il ne peut coiffer sans risquer d'être éventré.

Cette corne était d'un très grand prix chez les anciens, qui attachaient à sa possession toutes sortes d'idées superstitieuses.

Ils prétendaient que lorsqu'elle était fendue, on y voyait mille à plus merveilleuses les unes que les autres : des hommes, des oiseaux, des boeufs, des antilopes, etc. ; les princes s'en servaient pour orner leurs baudriers et décorer leurs trônes ; on en fabriquait des colliers et des manches de couteaux à l'usage des souverains. Ces manches de couteaux avaient la propriété de suer à l'approche d'un venin ou d'un poison quelconque.

On creusait ces cornes précieuses en forme de coupes, dans lesquelles le vin et les autres breuvages bouillonnaient et entraient en effervescence lorsqu'ils étaient empoisonnés.

Ces ustensiles sont encore employés dans le Levant. Les Turcs de haut rang porte sur eux une petite tasse en corne de rhinocéros ; en cas douteux, ils la font remplir de café.

Lorsqu'un de ces personnages rend visite à quelqu'un dont il se méfie, il fait emplir sa tasse du breuvage qu'on lui offre en signe d'amitié ; et son hôte, qui en fait autant en pareille occasion, ne se formalise pas de cette épreuve,

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