LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie
J'arrivai au confluent de l'Atbara qui conduit au Nil les eaux de l'Abyssinie orientale, et bientôt j'atteignis Khartoum, à la jonction du Nil Bleu et du Nil Blanc. Je restai quelque temps dans cette ville, où les voyageurs qui veulent explorer l'intérieur de l'Afrique ne manquent jamais de s'arrêter pour procéder à leurs derniers préparatifs ; et je vis souvent de nombreux troupeaux d'esclaves noirs, conduits comme des animaux sur les marchés, par les maîtres barbares qui s'en étaient emparés. Moi, du moins, j'étais libre, et ma sécurité aurait été complète si je n'avais pas eu à redouter les attaques des oiseaux de proie, car les habitants de ces contrées ne chassent pas les hirondelles. C'est à Khartoum que je rencontrai pour la première fois l'hirondelle Pilifère, vive, agile, gracieuse, légère, et dont le chant et les moeurs se rapprochent beaucoup de ceux de notre espèce. Elle niche dans les vieux murs, dans les constructions en ruines, dans les enfoncements des rochers. Son nom d'hirondelle filifère lui vient des deux rectrices externes qui se prolongent bien au-delà des autres, en brins filiformes, et qui lui donnent une remarquable élégance. Elle a la face supérieure du corps d'un beau bleu métallique, le sommet de la tête roux, les joues noires, le ventre blanc. Bientôt, nous ne fîmes toutes qu'une seule famille, et nous rasions en folâtrant tous les cours d'eau du pays où les insectes pullulaient. L'Atbara qui, pendant la saison des pluies, a plus de quatre cents mètres de largeur et dix mètres de profondeur, est absolument à sec pendant plusieurs mois de l'année ; son lit forme alors une nappe de sable éblouissante qui se confond avec le désert. Par intervalles, il reste d'immenses flaques d'eau clans de profondes cavités creusées naturellement au-dessous du lit moyen de la rivière ; et ces étangs, dont quelques-uns ont plusieurs kilomètres clé longueur, servent de refuge aux crocodiles, aux hippopotames, aux poissons et aux tortues de grande espèce qui s'y entassent en quantités prodigieuses, jusqu'au moment où les pluies, en alimentant de nouveau l'Atbara, pourront leur rendre leur liberté. L'hippopotame est assurément l'animal le plus massif, le plus lourd, le plus monstrueux qui existe ; sa tête quadrangulaire est caractérisée par un museau d'une longueur et d'une largeur extraordinaires, ses dents, recourbées en demi-cercle, atteignent jusqu'à un mètre de longueur, et le monstre, dont le poids est parfois de plus de 3,500 kilogrammes, dépasse souvent quatre mètres cinquante centimètres de longueur. L'eau, projetée avec force, s'élève en éventail à plus d'un mètre au-dessus de la surface de l'étang, un soupir particulier ou un sourd grognement se fait entendre, et l'hippopotame paraît pour respirer. On distingue la tête, masse hideuse et informe d'un brun roux, avec deux pointes qui sont les oreilles, et quatre éminences qui marquent la place des yeux et des narines ; un instant après, cette tête disparaît pour reparaître encore au bout de trois ou quatre minutes, car l'hippopotame ne peut pas rester plus longtemps sans respirer quand il n'est pas blessé. Lorsque le lieu est complètement désert, les hippopotames quittent l'eau, se vautrent dans la vase, et s'étendant à l'aise, se livrent au sommeil ; de temps en temps un vieux mâle pousse un grognement, relève la tête, et inspecte les alentours. J'étais étonnée de voir plusieurs oiseaux s'agiter au milieu de ces monstres ; l'un deux, que les indigènes appellent l'oiseau des pluies, enlevait adroitement de leur peau les sangsues et de nombreux insectes qui y adhéraient. Un petit héron se promenait gravement sur le dos des horribles bêtes et travaillait à les débarrasser de la vermine qui s'attache à leur corps. L'hippopotame nage avec une rapidité incroyable ; et, lorsqu'il est tranquille, l'eau reste autour de lui lisse et immobile ; mais s'il est attaqué, blessé et qu'il s'élance avec fureur, il jette ses pattes postérieures en arrière, s'avance par bonds, produit de forte vagues, et sa puissance est telle qu'il peut soulever et mettre en pièces des bateaux de moyenne grandeur. Un jour, je vis un de ces hideux animaux qui, doucement balancé par le mouvement de l'eau, broutait les joncs, les roseaux, les papyrus, les grands nénuphars et cent autres plantes remarquables par leur couleur et leur parfum. Ce spectacle avait quelque chose d'horrible ; sa gueule immense, s'entrouvrait, sa tête informe disparaissait sous les plantes, l'eau se troublait au loin ; l'hippopotame reparaissait avec un gros faisceau de végétaux, qu'il déposait à la surface pour les mâcher et les avaler lentement et avec délices. Les tiges pendaient de chaque côté de ses énormes mâchoires, et leur suc verdâtre, mêlé à la salive, découlait lentement des lèvres ; ses yeux étaient fixes, mobiles, sans expression, et les dents se montraient dans toute leur longueur. Rien ne semblait devoir troubler la béatitude du géant, lorsqu'un coup de feu retentit. Il y avait là un chasseur européen, accompagné de quelques nègres. La balle avait frappé, sans pouvoir y pénétrer, le crâne épais de l'animal : Furieux, il rugit, autant par sa rareté que par les singularités de sa conformation. Quand les Romains étendirent leurs conquêtes en Afrique, ils connurent la girafe et en ornèrent leurs fêtes triomphales. Son nom antique zurapha, d'où son nom actuel de girafe, ne vint point jusqu'à eux. Ces farouches vainqueurs auraient craint, en s'enquérant des mœurs et des coutumes étrangères, d'affaiblir les ressorts de haine et de mépris qu'ils portaient aux barbares. La girafe passa de leurs mains, pour la, première fois, dans celles de César, à titre de tribut, mais leur orgueil repoussait tout document qui l'aurait concernée. Es la nommèrent donc à leur manière, l'appelant camelopardalis, chameau-léopard, ils lui avaient, en effet, trouvé du rapport, d'abord avec le chameau, par son volume, par quelques traits de sa physionomie, par son museau effilé, son long col, ses lèvres prolongées et singulièrement mobiles, etc... et ensuite, avec la plupart des grandes panthères, par les taches de son pelage. On trouve, dans les auteurs du Moyen-Âge, qu'en 1486, l'Egypte envoya une girafe à un duc de Médicis, maître de Florence. La girafe de cette époque s'était identifiée, quant à ses sentiments du moins, avec tous les premiers étages des belles maisons de la ville, elle allait tous les jours prendre un de ses repas des mains des dames florentines, dont elle était devenue la fille adoptive, ce repas consistait en plusieurs sortes de fruits, de pommes principalement. Le bel animal dit roi, c'est le nom donné à la girafe sur toute sa route dans le midi de la France, a été différemment nourri... La girafe, dans son pays natal, broute les sommités des arbres, préférant les plantes de la famille des mimosas qui y abondent... Ce qui montre qu'elle n'a point renoncée à ses habitudes natives, c'est qu'elle accepte avec bonne grâce les fruits et les branches d'acacia qu'on lui offre. Elle saisit le feuillage d'une façon très singulière, faisant sortir à cet effet une langue longue, rugueuse, très étroite et noire, et l'entortillant autour de l'objet qu'elle convoite... On dit la girafe un animal du désert, et l'on s'étonne ensuite qu'elle y trouve à subsister. Ceci repose sur une fausse préoccupation de l'esprit. Effectivement, comment croire qu'un animal d'un volume aussi considérable se tienne où ne serait pour lui aucune ressource d'alimentation ? Un sol âpre et brûlé du soleil, comme est celui du désert, ne saurait rien fournir, pas plus à la girafe qu'à d'innombrables troupeaux d'antilopes qui s'y trouvent répandus à des heures marquées. Tous ces animaux sont d'autant plus exigeants sur la nature et l'abondance des pâturages, que leur grande taille rend leur consommation plus considérable. Or, ils trouvent sans difficulté les aliments qui leur sont nécessaires, on se tenant à portée des terres arrosées et par conséquent, très riches en végétation, lesquelles forment, en Afrique, de très grands espaces, de vastes Royaumes ; ils viennent faire curée dans les lieux qu'ils dévastent et qu'ils laissent désolés, apparaissant, comme la grêle dans nos pays, pour tout ruiner sur leur passage. Le désert n'est donc pour ces animaux légers à la course qu'un lieu de refuge, comme sont nos forêts pour les sangliers qui ont ravagé des champs dans les plaines voisines. Le désert, qui procure, en Afrique, de vastes emplacements à horizon fort étendu, est ainsi le lieu que préfèrent, après s'y être repues, les girafes et les antilopes, toujours entourées d'ennemis puissants et excités par une faim dévorante. Là, ces animaux sont dans un éveil continuel et pleinement efficace ; car, dans le désert, ils voient à une grande distance, ils ne craignent point d'y être surpris. Là, leur active surveillance, comme la vitesse de leur course, dérangent les combinaisons les plus habiles, et rendent inutiles tous les pièges qui leur seraient tendus. Aussi les lions, qui ont une expérience des ressources qu'on leur oppose, ne perdent-ils point leur peine à des poursuites sans résultat ; ils préfèrent attendre près d'une fontaine où l'on viendra boire, â portée d'une riche prairie où l'on sera tenté d'arriver paître, ou, à l'égard des girafes, auprès d'un fourré de mimosas, dont les sommités seraient une autre sorte de rhlie pâture. Les lions en embuscade, aidés par d'intelligents associés leurs pourvoyeurs, les caracals, sont plus efficacement servis par le rabat du gibier près du lieu où ils se tiennent cachés ; ils aiment mieux d'un seul bond tomber à l'improviste sur une proie surprise et mise hors d'état d'user de ses dernières ressources. Cependant, les girafes et les antilopes n'entrent dans abondants pâturages qu'avec une extrême défiance ; de brandes précautions sont opposées à d'industrieuses embuscades, et si elles ne peuvent fuir, les girafes sont prêtes à la lutte. Il est donc un nomment critique où les combattants viendront à se rencontrer et à se joindre. Cotte girafe si douce au milieu de nous, qu'elle étonne, à cet égard, les curieux empressés à la contempler, si maniable, si bonne personne, que, dans sa route, elle a permis qu'un jeune mouflon, né pendant le voyage, fit de la brande étendue de son corps le théâtre de ses ébats, de ses jeux enfantins, cette girafe si débonnaire, ai-je dit, dans une rencontre face à face avec le lion, n'est point dénuée de moyens de se défendre : cet animal, que nous observons dans une parfaite quiétude à l'égard de ses gardiens qu'elle distingue, et du public qui ne lui impose en aucune manière, trouve, dans son désespoir et dans le sentiment énergique que lui inspire le besoin de sa conservation, une toute puissance gui peut devenir funeste au plus terrible, au plus redoutable des animaux. Quelquefois, si elle est encore en mesure de fuir elle rue à 1 a manière des chevaux ; mais elle est plis décidée et plus confiante en ses moyens quand elle emploie les jambes de devant. Le mouvement clé ses jambes antérieures lui est si naturel qu'il se hisse apercevoir chez notre girafe, fort disciplinée par la domesticité. Si on l'approche et qu'on l'irrite, elle soulève et écarte chaque pied dé devant ; mais, par un effet de son extrême bonté ou de ses moeurs domestiques, elle réprime aussitôt et annule cette première susceptibilité. |
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