LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



V. - LES MARTINETS.
Le martinet de muraille ; ses habitudes ; ses moeurs ; sa nourriture. - Curieux détails. - Moustiques et chenilles. - Massacre insensé. - Un combat en règle. - Un homme vaincu par des martinets. - Dernier outrage.


Voici encore un voisin qui est aussi quelque peu notre parent ; Celui-là est querelleur, violent, étourdi ; il ne vit en paix avec aucun oiseau, et ne peut s'entretenir même avec ses semblables

Le grand martinet, martinet noir, martinet de muraille, grande hirondelle, porte une sombre livrée d'un noir de suie, avec la gorge blanchâtre, 'œil brun foncé, le bec et les pattes noirs.

Le martinet de muraille est cet oiseau à la queue fourchue que, du commencement de mai à la fin d'août, vous voyez voler le long des rues, autour des clochers, des grands édifices, en poussant des cris assourdissants.

Les martinets émigrent en grandes bandes. On en voit souvent des centaines là où la Veille on ne pouvait en apercevoir un seul ; ils voyagent la nuit, et c'est vers minuit qu'ils se mettent en route.

Ces oiseaux sont faciles à distinguer des autres hirondelles dont leur allure et leur genre de vie diffèrent beaucoup. Excessivement vifs, remplis d'activité, l'air est leur véritable domaine, et on peut dire qu'ils y passent toute leur vie : Des premières lueurs de l'aurore, jusqu'à la nuit close, ils chassent et volent à de grandes hauteurs ; ce n'est que vers le soir ou par le mauvais temps qu'ils se rapprochent du sol. Aucun oiseau de nos contrées ne vole aussi rapidement : Ils traversent en moins de cinq minutes un espace de plus de soixante milles.

Leur vol est léger, facile, toujours soutenu ; ils ne peuvent, comme nous, changer brusquement leur direction, mais ils fendent l'air avec plus de vitesse ; leurs ailes étroites, recourbées en forme de faux, s'agitent si rapidement que l'œil ne peut en suivre les mouvements ; puis, tout à coup, ils les étendent et planent, immobiles en apparence.

Au contraire, ils sont très maladroits quand ils doivent se mouvoir sur le sol ; ils ne savent pas marcher et peuvent à peine ramper ; j'en ai vu qui sont restés sur la terre, incapables de prendre leur essor.

Ils pillent souvent nos nids et ceux des moineaux ; ils se disputent entre eux, des journées entières, au bord de leurs nids. Les coups de bec ou de griffes qu'ils se portent sont loin d'être inoffensifs : J'en ai vu qui sont tombés morts sur le sol à la suite de ces agressions ; ils avaient la poitrine ouverte et le corps déchiré.

Souvent ils nous poursuivent sans provocation ; ils font parmi nous beaucoup de victimes ; et ne se montrent animés de bons sentiments qu'à l'égard de leurs petits.

Ils nichent dans les crevasses des vieux murs, dans les trous des clochers et des grands édifices, dans les fentes des rochers, dans les troncs d'arbres creux, etc...

Les ailes des jeunes sont, comme celles des chauves-souris, pourvues d'une espèce de croche' qui leur permet de se mouvoir dans le nid ; ce crochet disparaît chez les adultes.

Ils restent dans le nid plus longtemps que les autres oiseaux, parce que, lorsqu'ils le quittent, ils doivent être assez forts pour se soutenir par un vol prolongé, le repos sur la terre étant pouf eux une impossibilité.

Lorsqu'une jeune couvée se lance pour la première fois clans l'air, le père et la mère s'unissent à leurs voisins, et tous, par leurs cris, provoquent les petits à affronter cette épreuve ; ils les excitent et les encouragent ; et quand, cédant à des sollicitations si pressantes, ils s'élancent hors du nid, ils sont entourés, et en quelque sorte soutenus par toute une phalange de martinets qui les initient à la chasse aux insectes.

Le martinet de muraille se nourrit à peu près comme nous ; cependant il chasse à une très grande hauteur des petites espèces d'insectes qui nous sont inconnues.

On a prétendu que cet oiseau ne boit jamais ; c'est là une erreur ; comme nous, il boit en volant ; mais ce qui est certain, c'est qu'il ne se baigne que quand il pleut, et qu'il ne se plonge pas dans l'eau comme nous aimons à le faire.

Il va, semant la mort parmi les insectes, et, malgré le peu de sympathie qu'il m'inspire, je suis obligée de constater que ses chasses aériennes rendent aux agriculteurs les plus grands services.

Un de vos savants, qui sous prétexte de science ne se gênent pas pour nous immoler, a trouvé dans le gosier d'un martinet, après un repas du soir, six cent quatre-vingts insectes. L'homme doit sentir son impuissance à remplacer de si utiles serviteurs et de si dévoués auxiliaires.

Vous auriez pu lire, dans un journal américain, de curieux détails sur les martinets. Je ne veux pas en garantir l'exactitude, car j'ai entendu dire, de l'autre côté de l'Océan, que les journalistes se mettaient quelquefois à côté de la vérité. Tels qu'ils sont, je les rapporte, persuadée qu'ils vous intéresseront.

" Les moustiques et les chenilles sont peut-être les deux inconvénients les plus agaçants des chaleurs que nous subissons depuis deux mois. Elles sont sans nombre, les tribulations auxquelles ces insectes soumettent les New-Yorkais.

" L'audace des moustiques ne connaît pas d'obstacles. Les chenilles ne hantent pas les mêmes parages, mais elles n'en trouvent pas moins le moyen de faire damner le pauvre monde. Inondé de sueur, en proie à une soif ardente, vous vous traînez péniblement jusqu'au café voisin ; d'une voix défaillante, vous demandez un verre de bière.

" La vue seule du liquide mousseux ranime un peu vos forces ; vous approchez le verre des lèvres. Halte ! ... vous venez d'apercevoir quatre ou cinq chenilles verdâtres se débattant clans la boisson glacée. Mieux vaut certainement trouver dans sa bière des chenilles que du verre pilé. Cependant le contact de ces insectes gluants produit une certaine répugnance sur quiconque n'a pas l'âme affranchie des préjugés vulgaires.

" Et voilà pourquoi il est fort regrettable de n'avoir pas, à New York, ces charmants petits oiseaux, si communs en France, qu'on appelle martinets. Les martinets, peu délicats et forts gloutons de leur nature, font une consommation prodigieuse d'insectes de toute sorte, et le jour où ces oisillons seront acclimatés ici, les dames trouveront moins de moustiques dans leurs bas, et les consommateurs moins de chenilles dans leurs verres.

Les habitants de Milwaukie sont plus heureux que ceux de New York, mais ils ne savent pas apprécier leur bonheur. Dans cette localité bénie, les martinets pullulent ; les Milwaukiens, loin d'en rendre grâce à la Providence, cherchent, par tous les moyens, à se débarrasser de ces hôtes aussi utiles que gracieux. D Un de ces jours passés, M. Desforges, propriétaire d'une maison située clans Main street, et sur le toit de laquelle des milliers de martinets ont construit leurs nids, conçut le dessein criminel de perpétrer un nouveau massacre des innocents. En conséquence, il s'arma d'un balai, monta sur le toit et se mit à l'œuvre. D'un balai impitoyable il avait déjà détruit deux ou trois des palais de paille où dormaient les petits sans méfiance, pendant que les pères et mères étaient en quête de la pâture. Soudain le ciel s'obscurcit.

" Saisi d'un mouvement de crainte instinctif, le bourreau laisse tomber son balai sacrilège, et, ne comprenant rien à cette éclipse de soleil non prédite par les almanachs, il lève les yeux. Des myriades de martinets volaient, en tournoyant, à quelques pieds au-dessus de sa tête, semblant demander grâce. Il ne s'en émeut pas, et se baisse pour ramasser son balai. Ce fut le signal de l'orage. Les martinets, jusque-là suppliants et silencieux, s'excitent mutuellement au courage et au combat par des cris discordants. Ils se précipitent sur leur ennemi et le criblent de coups de bec.

Mais c'est surtout au balai qu'ils en veulent ; cet instrument de meurtre est réduit en charpie, et ses lambeaux sont livrés aux quatre vents par l'armée aérienne. En vain M. Desforges veut résister : les coups de bec lui pleuvent dru comme grêle dans le dos, sur la tête, sur le visage, dans le gras des jambes, et il est d'autant plus sensible au coups qui l'atteignent dans cette partie que, vu l'extrême chaleur, il avait négligé de prendre des chaussettes. Ses ennemis sont insatiables ; avec un instinct admirable, ils imitent la tactique de la cavalerie des Mamelucks : chacun, son coup porté, s'éloigne pour revenir aussitôt attaquer d'un autre côté.

" Assourdi par leurs cris, ahuri par la rapidité de leur vol, M. Desforges se décide à battre en retraite. Il atteint, non sans peine, la lucarne donnant accès sur le toit, et s'y engouffre avec une légitime précipitation. Mais, au moment où il allait achever de disparaître, où sa tête seule surplombait encore le trou de la lucarne, ses ennemis, que le succès enivre, lui infligent un outrage déshonorant, le même qui rendit aveugle le père de Tobie. Heureusement que, pour M. Desforges, les projectiles ne lui tombèrent pas dans les yeux, mais sur le nez, et de là vient qu'il ne fut pas aveuglé.

" Puisse cette leçon être un exemple non seulement pour lui, mais pour tous les Milwaukiens. Respect aux martinets, ou gare aux chenilles ! Quelque fantaisiste que soit ce récit, il n'en prouve pas moins que les martinets sont d'excellents insectivores, et aussi, que ces oiseaux, comme les hirondelles et beaucoup d'autres animaux utiles sont souvent en butte à l'ingratitude des hommes.

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