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LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



XX. - LE BOA.
Quelques mots sur les serpents. - Exagérations. - Le serpent de Régulus. - Le serpent de Ptolémée. - Une capture difficile. - Singulière méprise. - Serpent et tigre. - Un drame dans les herbes. - Les monarques africains. - Du sang. - Horribles coutumes.


C'est dans les steppes immenses couvertes de cette herbe de Guinée, haute de plus de trois mètres, que l'énorme boa ou serpent devin, se retire en compagnie de nombreux troupeaux d'éléphants et de sangliers monstrueux. C'est dans ces déserts brûlants qu'il exerce une domination moins troublée et parvient quelquefois à une longueur considérable.

Je ne suis qu'un faible oiseau, et, comme tous ceux de mon espèce, j'ai horreur des reptiles ; je ne crois cependant pas à leur pouvoir enchanteur ; je n'ai jamais vu d'oiseaux ou d'écureuils fascinés par leur regard, descendre des plus hautes branches d'un arbre pour s'introduire d'eux-mêmes dans leur gueule largement ouverte.

Je ne crois pas davantage aux récits amplifiés des voyageurs qui ont parcouru l'Afrique, en ce qui concerne la taille des serpents. L'imagination, vivement surexcitée à l'aspect d'une vision effrayante est toujours disposée à en exagérer les proportions. Après avoir fait ces réserves, je veux bien vous raconter quelques-unes de ces histoires épouvantables de serpents que vous saurez réduire à leurs justes proportions.

Je ne veux pas m'arrêter à la fable du serpent de Norvège qui avait plus de deux cents pieds de longueur et vingt pieds de circonférence ! ...

C'était sans doute un boa, que cet énorme serpent qui arrêta autrefois l'armée romaine, près du fleuve de Begrada, entre Utique et Carthage et que Régulus vainquit à l'aide de ses troupes.

Cet animal redoutable, pressé par la faim, se jetait sur les soldats qui s'approchaient de la rivière pour y puiser de l'eau, les écrasait du poids de son corps, les étouffait de ses replis tortueux, ou les faisait périr par son souffle empoisonné. Les dures écailles d ; . sa peau le rendaient impénétrable à tous les traits qu'on lui lançait ; il fallut dresser contre lui des machines de guerre et l'attaquer comme une citadelle. Enfin, après bien des coups inutiles, une pierre d'une grosseur énorme, vigoureusement poussée par une puissante machine, lui brisa l'épine dorsale et l'arrêta dans sa course. On eut bien de la peine à l'achever, tant les soldats craignaient d'aborder un ennemi encore formidable, même aux approches de la mort. Régulus envoya à Rome sa peau, qui était longue de cent vingt pieds ! ...

A quelle espèce appartenait-il, ce serpent long de trente coudées qui fut capturé en Egypte, sous le règne de Ptolémée ? ... Plusieurs chasseurs, encouragés par la munificence du roi, résolurent de lui amener à Alexandrie un des plus grands serpents qu'on pût trouver. Ce monstre vivait sur le bord des eaux ; il y demeurait ordinairement immobile, couché à terre et replié en cercle ; mais lorsqu'il voyait approcher quelque animal, il se jetait sur lui avec impétuosité, le saisissait avec ses dents, ou l'enveloppait dans les replis de sa queue.

Les chasseurs l'ayant aperçu de loin, imaginèrent qu'ils pourraient aisément le prendre dans des lacs et l'entourer de chaînes. Ils s'avancèrent donc avec courage ; mais lorsqu'ils furent plus près de ce serpent extraordinaire, le feu qui sortait de ses yeux, son dos hérissé d'écailles, le bruit qu'il faisait en s'agitant, sa gueule ouverte et armée de longues dents crochues, son regard horrible et féroce les glacèrent d'effroi. Ils osèrent cependant avancer pas à pas et jeter de fort liens sur sa queue ; mais à peine ces liens eurent-ils touché le corps de l'animal, que se retournant avec fureur, et faisant entendre des sifflements aigus, il dévora le chasseur qui se trouvait le plus près de lui, en tua un second d'un coup de sa queue et mit les autres en fuite. Ces derniers ne voulant pas cependant renoncer à la récompense promise, et imaginant un nouveau moyen, firent faire un retz composé de cordes très grosses et dont les dimensions étaient proportionnées à la grosseur et à la grandeur de l'animal. Ils le placèrent auprès de sa caverne ; et, ayant bien observé le moment de sa sortie et de sa rentrée, ils profitèrent du temps ou l'animal était allé chercher sa proie pour boucher avec des pierres l'entrée de son repaire.

Lorsque le serpent revint, ils se montrèrent tous à la fois avec des auxiliaires armés d'arcs et de frondes ; d'autres étaient à cheval et faisaient résonner des trompettes et d'autres instruments retentissants.

Le serpent, se voyant entouré de cette multitude, se redressait, et par ses horribles sifflements répandait la terreur autour de lui. Effrayé lui-même par les dards qu'on lui lançait, la vue des chevaux, les aboiements des chiens, le bruit aigu des trompettes, il se précipite vers l'entrée ordinaire de sa caverne. La trouvant fermée et toujours troublé de plus en plus par le bruit des trompettes, des chiens et des chasseurs, il se jeta dans le retz, où il fit entendre des rugissements de rage. Néanmoins, tous ses efforts furent vains, et sa force cédant à tous les coups dont on l'assaillit, et à toutes les chaînes dont on le lia, il fut conduit à Alexandrie, où une longue diète apaisa sa férocité ! ... Qu'était-ce que cette couleuvre, sur laquelle dix-huit Espagnols fatigués s'assirent, la prenant pour un vieux tronc d'arbre abattu, et ne reconnurent leur méprise que lorsque l'animal se mit à ramper ? ...

Des voyageurs prétendent que les boas attaquent les chevreuils, les daims, les taureaux et même les animaux les plus féroces. C'est sur le bord des fleuves qui arrosent les plaines équatoriales, dans un moment surtout où la chaleur est devenue plus ardente par l'approche d'un orage, et où l'action du fluide électrique répandu dans l'atmosphère donne une nouvelle activité aux reptiles ; c'est dans ce moment que, dévorés par une soif extrême, animés par toute l'ardeur d'un sable brûlant, à la lueur des éclairs, au son bruyant du tonnerre, le serpent et le tigre se disputent un empire souvent ensanglanté.

Les prétendus témoins d'un de ces combats terribles, disent avoir vu un tigre furieux s'élancer tout à coup sur un serpent d'une taille monstrueuse, qui, mugissant de douleur et de rage, serrait à son tour son adversaire dans ses contours multipliés, l'étouffait sous son poids, et brisait ses os entre ses mâchoires redoutables. Le quadrupède eut beau déployer contre son ennemi la force de ses dents, le tranchant de ses griffes, toutes ces armes furent impuissantes ; il expira au milieu des replis de l'énorme serpent qui le tenait enchaîné.

Mais voilà bien des préliminaires, pour arriver au récit de l'aventure dont j'ai été témoin

Perchée sur la plus haute branche d'un adansonia, je vis une espèce de longue et grosse poutre s'avançant avec vitesse à travers les hautes herbes et les broussailles de la steppe qui s'incline sur son passage. C'était un énorme serpent laissant derrière lui le sillon que traçaient les diverses ondulations de son corps. Des antilopes fuyaient, effrayées, dans toutes les directions, pour se soustraire aux atteintes de ce redoutable ennemi.

Arrivé au-dessous de l'arbre sur lequel je m'étais reposée, le serpent se roula avec promptitude autour du tronc ; et je me disposais à fuir lorsque je l'aperçus entortillant sa queue autour.

d'une des basses branches, et balançant son corps suspendu à cet anneau d'un nouveau genre. Ce n'était pas à moi qu'en voulait le serpent : Qu'aurait-il fait d'une aussi mince proie ? Il demeura longtemps en embuscade attendant assurément une victime qui tardait à venir. J'allais quitter mon poste d'observation lorsque j'aperçus plusieurs antilopes qui, croyant tout danger disparu, marchaient avec précaution dans la direction de l'arbre. Lorsqu'elles furent au-dessous de la branche qui servait de point d'appui au serpent, celui-ci s'élança comme un trait sur une des antilopes, l'enveloppa dans ses contours, l'enserra avec force, fit craquer ses os et l'eut bientôt réduite à l'impuissance. Il continua à presser l'inoffensif animal déjà étouffé, il en écrasa les parties les plus compactes, l'entraîna en se roulant avec lui, auprès de l'adansonia dont il renferma le tronc dans ses replis, les environna l'un et l'autre de ses nœuds vigoureux et parvint à comprimer et, en quelque sorte, à moudre l'antilope qu'il venait d'immoler.

Lorsqu'il eut ainsi donné à sa proie toute la souplesse nécessaire, il l'étendit sur l'herbe, l'imbiba de sa salive et se mit en devoir de l'avaler ! ...

Je m'éloignai avec horreur, remerciant une fois de plus la Providence de m'avoir donné des ailes. . . . . . . . . . . . . .

Cruels et dangereux sont les lions et les tigres, les rhinocéros et les grands singes, les serpents et les crocodiles de l'Afrique, mais plus cruels et plus dangereux encore sont les rois et les chefs de tribu qui gouvernent les peuplades abruties dont la plupart ne sont que des troupeaux d'esclaves.

Souvent perchée sur le faite de la case royale, j'ai entendu les vociférations du chef et de ses ministres, et les gémissements des victimes.

Voici, entre la Sénégambie, et la Guinée, les Sousous ou Foulahs, dont la capitale est Tumbo, et dont l'organisation politique est une sorte de confédération républicaine.

lls ont pour voisins les Papels, chez lesquels le choix du monarque se fait de la façon la plus singulière. Des cris et des lamentations m'avaient appris que le roi venait de mourir. Lorsqu'il fut enseveli, les grands du royaume se rangèrent autour de sa bière, dont s'emparèrent quelques nègres des plus robustes. Un grand acte allait s'accomplir... . Le cercueil, un instant balancé, fut lancé en l'air ; il retomba sur la tête d'un des seigneurs, qui fut renversé du coup ; mais qui ne fut pas complètement écrasé. Le malheureux qui venait de résister à ce choc terrible fut acclamé le successeur au trône du monarque défunt. Les habitants de Benin vénèrent leur roi comme un demi-dieu : ce despote est censé vivre sans nourriture : Sa mort n'est qu'une apparence, car il ne tarde pas à ressusciter sous une autre forme. A certaines fêtes, il plante une racine dans un pot de terre, à la vue du peuple tout entier ; un instant après, à la suite d'un adroit escamotage, on présente à la foule un autre pot avec une racine qui a poussé des jets.

Ce miracle, accueilli par les cris de joie de la multitude, est un indice certain que la récolte sera abondante.

Mais, il faut aussi se rendre propices les mauvais esprits, et les sacrifices humains seuls ont ce pouvoir.

Les victimes, immolées au bruit des chants épouvantables du peuple entier, montrent une indifférence stupide : Ce sont, pour la plupart, des prisonniers de guerre.

A la fête des coraux, le roi et tous les grands trempent leurs colliers de corail dans le sang humain, en priant les dieux de ne jamais les priver de cette marque de leur haute dignité.

Ici, sur la Côte des Esclaves, c'est le royaume de Dahomey, dont le chef puissant peut réunir une armée de huit mille hommes.

Le palais du roi, qui n'est autre chose qu'une chaumière entourée de murs de terre, est gardé par une troupe de mille négresses armées de fusils et de flèches.

Les ministres qui sont mandés par le farouche monarque déposent leurs vêtements de soie à la porte du palais ; ils n'approchent du trône qu'en rampant et en roulant leur tête dans la poussière. La férocité du maître surpasse tout ce que l'imagination peut concevoir ; le chemin de la cabane royale est semé de crânes humains, les murs sont ornés de mâchoires qui y sont incrustées.

Dans les grandes cérémonies, le roi marche sur les tètes sanglantes de ses ennemis vaincus, ou de ses ministres disgraciés. A la fête des tribus, tous ses sujets apportent leurs dons, et il arrose de sang humain le tombeau de ses ancêtres : cinquante cadavres sont jetés autour de la sépulture royale, et tout autour on compte autant de têtes plantées sur des pieux.

Le sang de ces victimes, soigneusement recueilli, est présenté au roi qui y trempe le bout d'un doigt et le lèche ensuite.

Ce sang est mêlé à l'argile destinée à construire des temples en l'honneur des monarques défunts.

Les veuves royales se précipitent les unes sur les autres, s'entretuent, se déchirent, jusqu'à ce qu'il plaise au nouveau souverain de mettre un terme à ce massacre.

Le peuple manifeste, par des hurlements, la satisfaction la plus vive ; au milieu d'une fête joyeuse, il applaudit à ces scènes d'horreur et aide à déchirer les victimes.

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