LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
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XVI. - L'AFRIQUE AUSTRALE.
Un gentil compagnon. - Végétation vigoureuse. - Cafres et Zoulous. - Les Boërs. - Les Béchuanas. - Le Hopo. - Une chasse miraculeuse. - Nombreuses victimes. - La pêche. - Les Bushmens. - Chasseurs intrépides. - Eléphants et lions. - Le mirage.


Quoique le moineau ne soit pas précisément l'ami de l'hirondelle, je veux vous faire connaître un petit oiseau qui est à l'Afrique ce que le moineau est à l'Europe.

Je l'ai partout rencontré depuis le point de rencontre du Nil Blanc et du Nil Bleu jusqu'au Zambèze. Il ne manque dans aucun des villages de la Nubie, de la Nigritie, du Zanguebar et de la Cafrerie ; c'est un bon petit compagnon ; point querelleur, qui aime et recherche la société des autres oiseaux.

Le sénégalien, sénégalo rouge, ou petit sénégalien, est un charmant oiseau qui n'a pas plus de seize centimètres d'envergure. Le mâle à un plumage splendide : la partie supérieure de la tête, la partie postérieure au cou, le dos, les ailes sont d'un brun foncé passant au noir vers la queue ; la face, la partie antérieure du cou, la poitrine, le croupion sont d'un rouge carmin ; le ventre est brun clair ; les côtés de la poitrine et du croupion sont semés de petits points blancs ; le bec et les pattes sont rouges. La livrée de la femelle et celle des jeunes est moins brillance.

Ces gentils oiseaux sont si communs qu'on en rencontre par fois, près des villages, des bandes innombrables ; ils se répandent aussi loin des habitations, dans les steppes et dans les montagnes. Ils sont remarquables, non seulement par la beauté de leur plumage, mais encore par leur insouciante gaîté et la grâce de leurs mouvements.

Toujours agités, ils voltigent de branche en branche, grimpent rapidement le long des troncs d'arbres, courent avec agilité sur le sol ; c'est à peine si, pendant la plus forte chaleur de cette zone tropicale, ils cherchent sous le feuillage épais des arbres verts un abri contre les rayons brûlants.

à trouve beaucoup de ces mignons sénégaliens chez les oiseleurs d'Europe ; ils captivent infailliblement l'amitié de tous ceux qui ont appris à les connaître à jamais vous êtes possesseur d'un couple de ces charmants exilés, adoucissez le plus possible la rigueur de leur captivité, en mémoire de votre vieille amie l'hirondelle.

Me voilà dans l'Afrique Australe : J'établis mon quartier général au Cap, où je dois rester plusieurs mois ; mais je ne veux pas le renfermer dans les limites de la Colonie. De temps en temps, j'explore d'immenses contrées, et je reviens me reposer sous le f oit hospitalier d'une maison à laquelle je trouve quelque ressemblance avec celle que j'ai laissée là-bas, bien loin, dans ma patrie.

Les pays que je viens de parcourir à l'est du Cap, sont traversés par des montagnes qui donnent à la végétation une vigueur particulière, bien appropriée au climat qu'elle doit subir. Insensible à la chaleur et à la sécheresse, cette végétation couvre le s croupes des monts de forêts surprenantes, dont les proportions gigantesques remplissent d'étonnement et d'admiration. La ver- dure y semble défier l'action du soleil brûlant des tropiques.

Dans CC milieu privilégié s'est développée la race puissante des

Cafres et celle des Zoulous. Bien constitués, bien proportionnés, le corps élancé, ces peuples semblent avoir un sentiment profond de leur supériorité ; ils montrent plus d'énergie et plus d'audace que les autres naturels qui les entourent. Ils ont le port noble, le front élevé comme les races européennes, dont ils ne diffèrent que par la couleur noire de leur peau et la nature particulière, le leur chevelure laineuse,

La région voisine est d'un tout autre aspect : à peine quelques ondulations de terrain dans des plaines à perte de vue ; quelques 'rares ruisseaux, pas de rivières ; un soleil torride, sur un sol in- fécond désolé par des sécheresses périodiques ; tels sont les principaux caractères de ce pays. Les habitants, plus doux, plus timides et plus sédentaires que leurs voisins, sont en butte à l'oppression des Boers et quelquefois aux invasions des Cafres.

Les Boers sont des fermiers ou colons, autrefois établis au Cap, et qui, ruinés par l'abolition de la traite des nègres, se sont retirés dans les montagnes de Cachan et de 1Magaliesberg. Quand ils pénétrèrent pour la première fois dans les montagnes, les Béchuanas les accueillirent avec empressement, comme des guerriers supérieurs et d'utiles auxiliaires ; ils ne tardèrent pas à s'en repentir, car ils ne rencontrèrent que l'esclavage là on ils avaient espéré trouver une protection efficace contre leurs ennemis.

Les Boers accablent de corvées les malheureux indigènes Ce sont eux qui fument les terres, sarclent les champs, font la moisson, construisent les bâtiments, creusent les canaux, état- Missent les écluses. De temps à autre, les envahisseurs descendent dans le village des Bechuanas ; ils requièrent, d'autorité, vingt trente femmes ou davantage pour mettre leurs cultures en état" Les malheureuses se rendent sur les lieux, emportant leur nourriture sur leur tête, leurs enfants sur leur dos, leurs instruments de travail sur leurs épaules.

Nous les faisons travailler, disent les Boers, mais, en retour, nous leur permettons d'habiter en sécurité notre pays !

Ces farouches colons habitent tous une ferme, au milieu de pâturages et de champs cultivés ; ils ont de nombreux troupeaux de buffles, de moutons et de chèvres, mais ils ne peuvent élever les chevaux qui meurent vite dans cette région.

Entre le lac N'gami et le fleuve Orange, se trouve un espace singulier, que l'absence d'eau courante a fait nommer le désert de I~alaha.ri. Ce pays étrange n'en a pas moins ses habitants, sa végétation particulière, ses arbres assez élevés, et une multitude d'animaux que la soif amène souvent chez les peuplades établies sur la limite du désert.

Les indigènes font alors des chasses véritablement miraculeuses, au moyen d'un piège qu'ils appellent le hopo. L'une de ces chasses étonnantes dont j'ai gardé le souvenir, a produit sur moi l'impression la plus vive.

Depuis quelque temps, les nègres avaient remarqué que les buffles, les zébus, les girafes, les antilopes de toute espèce fréquentaient une fontaine voisine de leur village.

Ils construisirent sur la route, à environ quinze cents mètres de la fontaine, deux espèces de palissades en face l'une de l'autre, inclinant progressivement jusqu'à un point de jonction qu'ils laissèrent libre. Là, ils improvisèrent un chemin conduisant, au bout de cinquante ou soixante mètres, à une fosse de cinq ou six mètres carrés et de (rois mètres de profondeur. De chaque coté de la fosse, des troncs d'arbres accumulés, dissimulés sous des monceaux de roseaux et d'herbes, formaient un parapet qui rendait impossible la retraite aux victimes qui s'étaient engagées dans le piège.

Dès que ces préparatifs furent terminés, toute la tribu se mit sur pied, entourant un espace très étendu et se resserrant peu à peu en cercle autour de l'allée fatale. Le gibier, ainsi rabattu, fut poussé, par les cris des indigènes, jusqu'au bord du hopo.

Là, des chasseurs placés en embuscade lamaient sur le troupeau effarouché des javelines, et tous les animaux se précipitèrent en tumulte dans le passage ouvert devant eux.

Effrayées par le bruit qui allait croissant, surexcitées par les blessures faites par les javelines, les malheureuses bêtes se poursuivent vers les antres, arrivent à la fosse, y tombent en se débattant, s'empilent, s'écrasent, jusqu'à ce que le piège soif axez plein pour permettre aux retardataires d'échapper à la mort, en passant sur le corps de leurs compagnons.

C'était un spectacle épouvantable : Les cris, les beuglements, les hurlements, les efforts inouïs pour se dégager, formaient un effroyable et lugubre concert. Bientôt le silence se rétablit, lorsque toutes les victimes eurent péri, étouffées les unes par les autres.

La prise fut répartie en portions égales entre tous les membres ~le la tribu : chaque famille avait des vivres pour longtemps... " La plaine immense est entrecoupée, par intervalles, par le li~ ; desséché de quelques rivières ; le sol, d'un sable doux, est recouvert, en certains endroits, d'une épaisse couche de terre d'alluvions, que le soleil a durcie et préparée, en quelque sorte, pour former de grands réservoirs naturels où les eaux des pluies se conservent pendant l'époque de la sécheresse. L'herbe, d'une végétation luxuriante, y croît par touffes épaisses, par oasis, et les intervalles se remplissent de plantes rampantes, que leurs racines, enfoncées profondément dans le sol, préservent des effets désastreux de la, chaleur.

Pendant la saison des pluies, une espèce de melon d'eau couvre la terre et apporte un peu de bien-être aux hommes et aux animaux : Les éléphants, les rhinocéros, les antilopes, les lions, les hyènes, les chacals, s'en font un véritable régal.

A mesure qu'on s'enfonce vers le nord, les rivières reparaissent, quelques-unes, en partie desséchées ; d'autres, grandes, fraîches et riantes : Avec elles, on retrouve les arbres géants de l'Afrique, les baobabs, qui atteignent plus de vingt mètres de circonférence, les grands palmiers, les gommiers, les ~no1euchongs, dont les indigènes fabriquent leurs pirogues.

Les poissons descendent par bancs dans les filets des naturels ; l'un d'eux, le rnosala, est si gros que, placé sur l'épaule d'un homme, sa queue touche à terre : C'est l'anguille de la contrée, singulièrement constituée pour vivre longtemps en dehors des rivières. Sa tête énorme lui sert de réservoir, et quand sa provision d'eau est faite, elle peut impunément passer plusieurs mois dans la vase desséchée.

Les habitants du pays estiment beaucoup la chair d'un serpent qui vit dans les rivières ; il est brun foncé, tacheté de jaune ; c'est une sorte de grande couleuvre.

La pêche a lien tantôt avec des filets fait de fibres d'hibiscus cannabinus, plante de la famille des malvacées, tantôt à la lance, sorte de javeline qui leur tient lieu de harpon. Les canots de pêche sont de simples radeaux fabriqués avec les joncs de la rivière réunis en paquets, au moyen de fibrés de certaines plantes que j'ai retrouvé, au milieu du désert, les restes des populations primitives du Cap. Leur langage, leurs habitudes, leur aspect, tout en fait des êtres à part au milieu des trous nègres : Ce sont les Lumens. Leur type s'approche tellement de certaines espèces de singes qu'on a voulu y voir la transition entre l'animal et l'homme.

Ces Lushsnens aiment le désert par instinct ; les plaines sablonneuses où ils vivent sans maîtres, mais non pas sans ennemis, plaisent à leur sauvage indépendance. Ils ne sont pas cultivateurs, et rarement pasteurs : la chasse des animaux sauvages suffisent à leurs besoins ; et ils se sentent à l'aise au milieu des 1r1us dangereux et des plus féroces. Ils en connaissent les moeurs, les ruses, les habitudes, ; ils se mettent à leur piste lors des grandes migrations ; ils les surprennent, les tuent et les mangent sur place.

Quant le gibier fait absolument défaut ; ils se contentent de quelques fèves, de quelques racines, de quelques fruits sauvages.

Ils connaissent à fond toutes les ressources du singulier domaine qu'il serait bien difficile de leur disputer, ce qui ne les empêche pas de redouter de s'y voir troubler par d'indiscrets étrangers. Ils savent, par expérience, que tous les explorateurs humains ne sont ni aussi discrets, ni aussi désintéressés que les petites hirondelles.

Aussi, comme l'eau, élément indispensable de la vie, est le bien le plus précieux dans ce pays de la sécheresse, ils en cachent soigneusement les sources ; et, quand ils l'ont puisée et qu'ils l'ont enfouie sous terre, enfermée dans des oeufs d'autruche, ils ne la montrent à personne, et ne font connaître les précieux dépôts que contrains par la violence.

Ils ont fait entendre aux peuplades voisines qu'ils pouvaient vivre sans boire ; et ils leur inspirent une terreur superstitieuse qui est, peut-être, leur meilleure garantie d'indépendance et de sécurité.

Quelque chétifs qu'ils soient en apparence, les Bush Mens ne reculent devant aucun animal, si grand et si féroce qu'il soit ; ces misérables créatures tuent des éléphants en grande quantité.

Ils se mettent ordinairement en campagne à l'époque de la pleine lune, à cause de la fraîcheur des nuits.

Ils attaquent l'énorme bête avec une lance, au moment où, après l'avoir chargée, elle s'arrête tout essoufflée ; cette chasse est la plus grande preuve de courage qu'on puisse donner dans ce pays. Ils se font quelquefois aider par des chiens dont les aboiements mettent l'éléphant hors de lui, et les pauvres sauvages rient de son impuissance, quand, éperdu de colère, désespérant d'atteindre ces agiles assaillants, il se couche par terre au pied d'un arbre, y appuie sa tête, comptant le renverser sous cet effort, et, par sa chute, écraser d'un seul coup toute la meute.

Les Bush Mens n'hésitent pas davantage lorsqu'il s'agit d'un lion dont la présence a effarouché le bétail et l'a dispersé. Ils s'élancent sur les traces du roi des forêts, le suivent à travers les broussailles jusqu'au moment où la panique est apaisée et les pauvres bêtes calmées.

Lorsqu'un lion s'est complètement repu, ils suivent sa trace sans faire le moindre bruit et le surprennent au milieu de son sommeil. L'un d'eux s'arrête et lui décoche une flèche empoisonnée, tandis que son compagnon jette adroitement son manteau sur la tête de l'animal qui, surpris, terrifié, s'enfuit en bondissant.           

Pour empoisonner leurs flèches, ils emploient les entrailles d'une espèce de chenille : ils les écrasent, en entourent la partie inférieure du fer de leurs flèches, et les font sécher au soleil. La douleur que produit une blessure de ce genre est si vive que le lion se roule et se déchire ; il rugit, devient furieux, mord les arbres et la terre avec une frénésie convulsive, et bientôt expire.

Ce qu'il y a de plus à redouter pour quiconque traverse les déserts africains, le Soudan, aussi bien que le Balahari, c'est lo mirage.

Dans ces vastes solitudes où l'imagination, surexcitée par les nécessités du moment, est dans toute sa force créatrice de fa nias magories bizarres, le mirage apparaît toujours sous un aspect des plus merveilleux.

C'est la soif qui est le besoin impérieux du moment : Les lacs ne manquent pas d'apparaître sous ce ciel de feu, dans l'immensité du désert. Comment croire à une illusion. On en voit la surface agitée, les vagues soulevées ; les arbres y apparaissent avec leurs ombres mises en mouvement par le souffle des vents.

Quel spectacle alors s'offrait à ma vue ! Les sauvages habitués aux aspects du désert, les animaux eux-mêmes trompés par les apparences, pêle-mêle se précipitaient à la source entrevue travers l'illusion du désir et la fièvre du besoin.

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