LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



XI. - LA VALLÉE DU NIL.
La Régence de Tripoli. - L'Egypte. - Le Nil. - Les roussettes. - Animaux fabuleux - L'ichneumon. - L'ichneumon et le crocodile. - L'ibis sacré. - Prodiges extraordinaires. - Un combat. - La défaite d'un serpent. - Le serpentaire ou messager.


Retenues pendant quelques jours à Naples par un terrible vent du sud-est, appelé Sirocco, nous pûmes bientôt reprendre notre voyage. Nous visitâmes Salerne, puis (après avoir franchi les montagnes) la Terre de Bari et la Terre d'Otrante : C'est à Otrante, autrefois Hydrunticna, que Pythagore donna ses premières leçons de philosophie ; la petite vallée qui précède cette ville est si belle qu'on la nomme " le paradis terrestre de la contrée. "

Nous voilà à Tarente, qui a donné son nom à la tarentule, espèce d'araignée sur laquelle le peuple a brodé les histoires les plus extravagantes. Après avoir traversé la Basilicate, nous nous élevons au-dessus du mont Pollino, et nous voguons en pleine Calabre, où la vigne donnerait un vin excellent si les habitants la cultivaient avec plus de soin.

Dans cette contrée, le mûrier nourrit un nombre immense de vers à soie ; les oliviers y sont si féconds et l'huile si abondante qu'on la conserve dans des citernes ; le frêne à manne se multiplie sans culture sur le penchant des collines ; le palmier, le cotonnier et la canne à sucre donnent d'excellents produits.

Abandonnant le Continent, nous passons en Sicile, après avoir traversé le détroit de Messine. Cette grande île triangulaire, qui a plus de 920 kilomètres de côtes, compte plusieurs ports importants, parmi lesquels Messine, Palerme, Syracuse et Catane.

Une chaîne de montagnes, qui fait suite aux Apennins, s'y divise en trois branches qui partagent l'île en trois versants.

C'est sur le versant oriental que s'élève l'Etna, volcan si considérable qu'auprès de lui le Vésuve ne serait qu'une colline. Ce colosse se divise en trois régions végétales : La première est celle de la canne à sucre et du blé ; la seconde voit croître la vigne et l'olivier ; la troisième ne porte que des plantes boréales.

Les éruptions de l'Etna sont connues de toute antiquité : La fable nous montre les géants Encelade et Typhon ensevelis vivants sous la montagne. C'est là que Vulcain et les Cyclopes forgeaient des foudres à Jupiter. Plusieurs fois la lave a été sur le point de submerger Catane.

Tandis que le front du volcan est chargé de neige, et qu'un hiver éternel existe à son sommet, un printemps perpétuel règne dans le reste de l'île. C'est sur les flancs de l'Etna que se trouve le châtaigner di cenlo cavalli, sous lequel 100 chevaux tenaient à l'aise, et qui n'a pas moins de 37 mètres de circonférence.

La ville la plus rapprochée de la Calabre est Messine. Détruite par le tremblement de terre de 1783, elle fut bientôt rebâtie, mais elle n'a jamais recouvré sa première importance.

Elle s'élève en amphithéâtre au pied des montagnes dont les Mmes bleuâtres se confondent avec l'azur du ciel.

Mille espèces de plantes, toujours vertes, s'étendent en longs festons sur leurs flancs déchirés par des ravins et couronnent les palais de Messine.

Sous les murs de la cité se pressent, en bouillonnant, les eaux du détroit où, jadis, Charybde et Scylla glaçaient d'effroi les navigateurs. Charybde, à deux cent cinquante mètres du rivage de Messine, n'est qu'un gouffre de trente-trois mètres de circonférence, qui prouve les remous qui se font remarquer en mer, dans tous les passages étroits.

Coupée à pic, la base de Scylla est percée de plusieurs cavernes ; les flots s'y précipitent, se replient, se heurtent, se brisent et se confondent en produisant titi bruit effrayant.

Homère et Virgile ont représenté Scylla poussant d'horribles

Hurlements dans sa profonde retraite, entouré de chiens et de loups menaçants.

Bientôt nous dirons adieu à l'Europe : Nous visitons l'île de Malte, rocher calcaire d'environ vingt kilomètres de long, à peine couvert d'une mince couche de terre végétale que la chaleur de son climat rend extrêmement fertile, et qui est arrosé par l'eau de plus de quatre-vingts sources. Ses fruits exquis, ses orangers célèbres, la beauté de ses roses, les suaves émanations de mille fleurs diverses, les chants d'une multitude d'oiseaux, parmi lesquels on distingue la voix si harmonieuse du merle Solitaire, en font un séjour enchanteur.

Toute cette riche végétation est d'autant plus extraordinaire qu'on est obligé d'apporter de la Sicile à Malte de la terre végétale, lorsqu'on veut y créer des jardins.

Voici lai, petite île de Comino, celle de Gozzo, hérissée de montagnes, fertile en coton, en grains et en plantes potagères.

Nous nous reposons sur l'île volcanique de Pentellona, qui n'offre de toutes parts que des pentes abruptes et des cavernes ; et un dernier et puissant effort nous conduit au Cap Bon, qui forme la pointe nord-est de la Régence de Tunis. Nous sommes en Afrique ! - Mais il semble que ce soit encore la France : De toutes parts flotte le drapeau aux trois couleurs.

Des ruines qu'on répare disent éloquemment que le fléau de la guerre s'est abattu star cette terre si fertile et si négligée.

Les beys de Tunis, qui, depuis la prise d'Alger, vivaient on bonne intelligence avec la France, se sont trouvés impuissants à réprimer les excursions sanglantes que les sauvages habitants du pays des Kroumirs faisaient de temps en temps sur le territoire occupé par les Européens ; il a fallu venger les pillages, les vols, les assassinats et mettre dans l'impuissance de nuire cette poignée de bandits qui se retranchait, avec son butin, clans les gorges inaccessibles de ses montagnes (1).

La France est venue, au prix de fatigues inouïes, supportées avec courage par ses jeunes soldats, apporter à la. Régence, avec sa protection, les bienfaits d'une civilisation jusque-là inconnue.

Bien que la chaleur soit insupportable, les branches de l'Atlas présentent des régions fraîches et élevées ; une plaine fertile borde la Medjerdah. La contrée voisine de la mer est riche en oliviers ; il s'y trouve un grand nombre de villes et de villages, bien peuplés ; la partie de l'ouest est remplie de montagnes et de collines arrosées par de nombreux ruisseaux dont les environs, extrêmement fertiles, produisent les plus belles et les plus abondantes moissons ; mais, au sud, se déroule un pays stérile, et comme défriché par un soleil ardent.

J'avais, en traversant les Alpes, vu les légers chamois dont les mouvements rapides et la légèreté nous avaient surpris ; et j'avais conservé un souvenir pénible de la brutale aggression du vautour.

Je rencontrai, sur la limite du désert, des animaux du môme genre, mais plus élégants, plus gracieux, plus agiles, et, de ma vie, je n'oublierai cette apparition ravissante et poétique : C'était un troupeau de gazelles, au pelage jaunâtre passant sur le dos et sur les membres au brun-roux foncé, avec une bande plus foncée encore, courant le long des flancs, et séparant la teinte du dos de celle du ventre, qui est d'un blanc éclatant. Leur tête fine, leurs grands yeux vifs et doux, leurs cornes en forme de lyre, font de ces animaux de charmantes créatures.

Les antilopes s'avançaient en bondissant, franchissant les herbes et les buissons, plus rapides que les plus rapides coursiers ; par instant, je croyais voir des oiseaux rasant le sol, sans toucher la terre. Elles s'arrêtèrent à l'abri d'un buisson de mimosas, dont les cimes, étendues en forme de parasol, les garantissaient des rayons du soleil, et se mirent à paître tranquillement.

Tout paraissait silencieux, le troupeau errait çà et là, et, pour mieux l'observer, je m'étais approchée des arbres, en butinant, quelques insectes qui voltigeaient autour des feuilles fraîches.

Cependant, un mouvement se fit clans les herbes voisines du buisson, et, du point élevé où je planais, j'aperçus un animal dont la présence me fit frissonner d'horreur. Le monstre avait quelque' ressemblance avec le chat dont j'avais failli être la victime sous le Hangar lui avait servi d'abri au nid de mes parents.

C'était, en effet, un chat, mais un chat qui, du museau à l'extrémité de la queue, n'avait pas moins de cieux mètres de longueur.

Sa tête était ronde, son museau court, sa queue longue et mince, sa robe véritablement splendide ; sur un fond jaune-orangé, se dessinaient des taches brunes ou noires, tantôt serra innée, tantôt composées de deux, trois ou quatre points disposés circulairement : C'était un léopard.

Je pressentais un grand (danger pour les pauvres gazelles, et je devinais les intentions de l'animal qui, de ses pattes veloutées, faisait sortir, comme d'une gaine, des griffes acérées d'une puissance extraordinaire. Sa queue s'agitait, tout son corps frémissait en ondulant dans l'herbe ; son oeil brillait comme un charbon ardent, et sa langue rugueuse, couleur de sang, lissait ses longues et rudes moustaches.

J'avais compris les intentions du terrible carnassier ; je poussais des cris désespérés pour éveiller l'attention des gazelles, et, pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'admirer les mouvements si souples et si gracieux du monstre : Il avançait, sans paraître faire le moindre effort ; son corps se pliait et se retournait dans tous les sens, comme celui d'un reptile ; ses pieds touchaient si légèrement le sol que j'étais tentée de croire qu'ils n'avaient rien à supporter: Fascinée moi-même, j'étais partagée entre la crainte du danger qui menaçait le troupeau et le plaisir que me causait la vue du monstre se glissant dans les hautes herbes.

Poussée par la curiosité, l'une des gazelles, qui avait vu les herbes remuer, avança sa jolie tête ; ce fut le signal de l'attaque. Le léopard se replia sur lui-même ; son corps se détendit comme un formidable ressort ; et, d'un bond parfaitement calculé, il tomba sur sa proie dont j'entendis craquer les os. Clouées au sol par la frayeur, les autres gazelles restèrent un moment immobiles ; mais bientôt, au signal du chef, le troupeau s'éloigna avec la rapidité de l'éclair, pendant que leur redoutable ennemi se gorgeait du sang de leur compagne ! ... ..

Quelques jours plus tard, j'assistai à une chasse d'un autre genre, dont j'aurais pu devenir la victime, si je ne m'étais tenue soigneusement cachée entre les feuilles d'un palmier.

Des cavaliers s'avançaient dans la plaine immense ; l'un deux portait un faucon sur son poing.

Dès qu'ils aperçurent un troupeau de gazelles, le faucon fut lâché, et s'éleva dans les airs. L'une des antilopes se détacha du troupeau, et ce fut sur celle-là que l'oiseau de proie concentra tous ses efforts.

Il fondit sur elle comme une flèche, puis, modérant son essor, il décrivit des cercles autour de sa tête, et bientôt lui enfonça ses serres dans la gorge, dont le sang jaillit.

La gazelle fit un bond énorme et parvint à se débarrasser de son ennemi qui, d'abord désappointé, revint à la charge, s'abattit de nouveau sur le cou de sa victime qu'il maintint, qu'il étourdit, jusqu'à ce que les chasseurs vinssent lui couper la gorge. Pauvres gazelles, si douces, si gracieuses, si innocentes, vous Subissez la loi commune, cette loi fatale qui permet au plus fort de s'imposer au plus faible, aussi bien dans les centres les plus civilisés que dans les solitudes du désert ! ...

Je m'engageai dans la Régence de Tripoli, m'élevant au-dessus de vastes plaines arides et sablonneuses, sous un ciel brûlant et inhospitalier, où l'on respire un air sans cesse vicié par le souffle du sirocco. De temps en temps, j'entendais les hurlements lugubres des chacals, le ricanement sinistre de l'hyène, et quelquefois aussi les rugissements terribles du roi du désert.

Toujours longeant la Méditerranée, j'arrivai en Égypte, dans cette longue vallée formée par les alluvions du Nil, et qui, avant la conquête de l'Algérie par la France, servait de lien entre l'Afrique barbare et le monde civilisé.

Le fleuve mystérieux est soumis â des crues périodiques et régulières, et, en se répandant sur ses rives, il dépose une couche de limon qui apporte dans ce pays, où il ne pleut jamais, la richesse et la fécondité.

Pendant les mois d'hiver de la France, lorsque tout dans notre pays est morne et désolé, la nature semble avoir transporté en Égypte la vie, la verdure et tout ce qui charme les yeux.

Les fleurs des orangers, des citronniers et d'une foule d'arbustes odorants, parfument l'air, les troupeaux sont partout répandus clans les prairies ; tout le pays ne forme qu'un immense jardin. De tous côtés la plaine fertile, terminée par des montagnes blanchâtres, est semée de bouquets de palmiers.

Dans la saison opposée, le tableau change complètement : Le pays ne présente plus qu'un sol fangeux, sec, poudreux, ou d'immenses champs inondés, de vastes espaces vides et sans culturel, des campagnes où l'on n'aperçoit que quelques dattiers. Çà et là, des chameaux conduits par de misérables paysans nus et hâlés, hâves et décharnés, circulent sous un soleil brûlant, un ciel sans nuages, dans une atmosphère desséchée par des vents continuels.

Lorsque la crue du Nil s'opère clans les conditions convenables, la récolte est d'une abondance et d'une richesse extraordinaires. On cultive avec succès le maïs, le blé, le riz, le millet, la canne â sucre, les légumes de toute espèce, l'indigo, le chanvre, le lin, le tabac, le café, etc., on élève de nombreux troupeaux de chameaux, de mulets, d'ânes, de chevaux et une grande quantité de volailles.

Dans ce pays des Pharaons, où toutes les forces de la nature étaient personnifiées et divinisées, où l'on adorait le crocodile, i'hippopotame et le chat, l'ibis, l'ichneumon et le bœuf Apis, les plantes et les légumes, le sol est parsemé de monuments immenses, pyramides, obélisques, sphinx, villes gigantesques, statues colossales, enfouis dans les sables, restes grandioses de la civilisation d'un autre âge, et il ma été donné, pauvre hirondelle du dix-neuvième siècle, de me reposer sur les ruines de Memphis et sur des tombeaux cyclopéens construits depuis plus de quatre mille ans ! ...

Beaucoup de nos compagnes s'étaient dispersées : La nourriture, partout abondante dans ces chaudes régions, nous permettait de voguer désormais suivant notre caprice. Mais notre troupe était encore considérable, et beaucoup, comme moi, remontaient le cours du Nil.

Un jour, que nous nous étions perchées au sommet d'un grand sycomore, nous fîmes connaissance avec les êtres les plus extraordinaires qu'il m'ait été donné de rencontrer. Etaient-ce des oiseaux ? ... étaient-ce des quadrupèdes ? ... Les oiseaux ont un bec et des plumes ; les quadrupèdes n'ont pas d'ailes ; ils ne peuvent pas voler...

Telles étaient les réflexions qui vinrent interrompre notre caquetage. Disons-le vite, nous étions un peu effrayées.

Branchés au sycomore, les animaux qui nous préoccupaient se tenaient la tête en bas, les ailes pliées et plaquées contre le corps : Ces ailes leur formaient une robe d'un gris brunâtre passant au jaune clair sur les flancs. La tête, qui ressemblait, en miniature, à celle d'un chien ou d'un renard, avait quelque chose de vif, de fin, d'animé, et une physionomie très expressive.

L'arbre était garni, dans son pourtour, d'une quantité de ces girandoles vivantes qui n'avaient d'autre mouvement que celui que le vent imprime aux branches.

C'étaient de grandes chauves-souris, de l'espèce appelée roussettes, dont l'aspect bizarre et fantastique a donné naissance à tant de fables absurdes.

Hérodote raconte qu'en Asie, ces grandes chauves-souris incommodent beaucoup les hommes qui travaillent dans les marais, au point qu'ils sont obligés de se couvrir de cuir le corps et le visage pour se préserver de leurs morsures. Les harpies signalées par les poètes de l'antiquité n'ont pas d'autre origine.

Les anciens ne connaissaient qu'imparfaitement ces mammifères ailés, qui sont des espèces de monstres ; et c'est d'après ces modèles que leur imagination a inventé les harpies avec leurs dents, leurs griffes, leurs ailes, leur cruauté et leur vivacité ; ils ont donné à ces êtres imaginaires tous les attributs difformes, toutes les facultés nuisibles.

La vérité est que ces chiens volants, dont on a fait d'effroyables vampires, sont des animaux absolument inoffensifs. C'est à tort que l'imagination les a vus s'abattre sur le cœur de l'homme endormi pour en sucer le sang, ou comme des âmes damnées dont la simple morsure constituait une souillure indélébile.

Les roussettes sont frugivores ; quelques petites espèces parais sent se contenter du suc des fleurs ; elles sucent les fruits plutôt qu'elles ne les mangent ; elles recherchent particulièrement ceux qui sont doux et odorants, tels que les bananes, les pêches, les raisins ; lorsqu'elles ont envahi un verger, elles y pâturent toute la nuit, et le bruit qu'elles font en mangeant les trahit de fort loin, parfois, elles avalent tant de suc de palmier qu'elles s'enivrent et tombent inertes sur le sol.

Mais que n'a-t-on pas raconté sur les animaux que nous apercevons dans les roseaux, marchant à la suite les uns des autres et formant une sorte de long serpent ? Celui qui tient la tête de la barde dépasse la taille du chat domestique ; sa fourrure consiste en un duvet épais, d'un jaune roux, recouvert de poils noirs rudes, longs de plus de huit centimètres, marqués d'anneaux de diverses nuances. La couleur générale du pelage est un gris verdâtre, qui s'harmonise parfaitement avec les lieux où se tient l'animal.

C'est une famille d'ichneumons, ou rats des Pharaons, animaux sacrés dont on embaumait les corps et à qui les Égyptiens accordaient les honneurs de la sépulture.

Les uns ont dit que l'ichneumon, appelant ses semblables à son secours, attaquait et tuait les plus grands serpents ; d'autres ont prétendu qu'un seul animal pouvait se livrer à cette chasse dangereuse, mais qu'alors il agissait avec la plus extrême prudence: 11 se roulait dans la vase, se faisait sécher au soleil, et, ainsi cuirassé, ramenant encore sa queue par dessus son museau, comme un bouclier, il bravait les morsures de ses adversaires.

L'ichneumon rend bien d'autres services à l'humanité, et voici un récit, non moins curieux, et plus invraisemblable encore Lorsque le crocodile est rassasié, il se couche sur un tas de sable, ouvrant sa large gueule et menaçant toute créature qui aurait  la hardiesse de l'approcher. L'ichneumon s'avance en silence, s'élance clans la gueule du monstre, lui mord la gorge, lui déchire le cœur et les entrailles, et de ses dents aiguës le fraye un passage à travers le corps de son ennemi dont il sort vivant. D'autres fois, il rôde sur les bords du fleuve pour découvrir les oeufs du crocodile ; il fouille le sable jusqu'à ce qu'il les ait rencontrés, et, malgré la vigilance de la mère, il les dévore en quelques instants.

Les anciens Egyptiens ont cru toutes ces histoires, qui le sont transmises d'âge en âge et que les écrivains ne le sont pas donnés la peine de vérifier.

Le mot ichneumon signifie découvreur de gibier, et ce nom est parfaitement mérité par cet animal rusé, voleur et vorace, craintif, prudent et méfiant.

C'est en rampant clans les herbes et toujours bien caché qu'il le met en chasse : Il mange tous les animaux qu'il peut saisir, depuis le lièvre jusqu'à la souris, depuis l'oie jusqu'au plus petit oiseau, les serpents, les lézards, les insectes de toutes sortes sont sa nourriture habituelle.

Mais la réputation de cet animal sacré est devenue bien mauvaise : ses rapines lui ont valu toute la haine des paysans de l'Egypte moderne, il pille leurs basses-cours, détruit les oeufs, égorge les poules et les poussins. Peut-être aussi cette haine n'est elle que de l'ingratitude : Les crocodiles sont maintenant fort rares dans la Basse-Egypte dont les habitants méprisent des services qu'ils ne sont plus à même d'apprécier, et ils considèrent comme une œuvre pieuse la destruction de l'ichneumon.

C'est encore un animal que les Egyptiens avaient placé sur leur autels et qu'ils adoraient comme un dieu tutélaire que j'ai plusieurs fois rencontré, marchant avec gravité sur les bords du Vil, en compagnie d'un grand troupeau de bestiaux, et du berger dont la présence ne lui inspirait pas la moindre crainte.

L'ibis sacré, quelquefois confondu avec la cigogne, est remarquable par son grand cou, les longues jambes, son plumage blanc teinté de jaunâtre, avec les extrémités des ailes et la poitrine d'un

noir bleuâtre, l'oeil rouge carmin, la peau du cou d'un noir velouté, le bec arrondi, courbé dans sa longueur, terminé en pointe émoussée, à bords durs et tranchants, capables de couper les lézards, les grenouilles et les serpents dont il se nourrit.

L'ibis fait une guerre continuelle aux serpents qui, de tout temps, se sont prodigieusement multipliés dans l'Egypte, au sein de cette terre humide, pénétrée par les débordements du Nil, échauffée par les rayons ardents d'un brûlant soleil.

De là, les honneurs rendus à cet oiseau dans l'antiquité ; de là, toutes ces momies d'ibis disposées par couches dans les tombes funéraires sous les pyramides du Sakkarah, de là encore tous les récits merveilleux que se sont transmis les générations.

Lorsque les bêtes, malfaisantes, les dragons fantastiques, les serpents volants descendaient de la montagne, l'ibis était là qui les guettait à l'entrée des vallées et qui les exterminait avant qu'ils eussent pu nuire aux habitants.

Le basilic, raconte-t-on, provient d'un oeuf d'ibis, formé du poison de tous les serpents que l'oiseau a mangés. Mais, prodige plus grand encore, les serpents les plus terribles, les crocodiles les plus gigantesques, demeurent immobiles, puis tombent foudroyés, dés qu'ils ont été touchés avec une plume d'ibis.

Et que penser de la longévité extraordinaire de cet oiseau divin. Les prêtres d'Hermopolis conservaient dans leur temple un ibis tellement vieux qu'il ne pouvait plus mourir ! ...

Le point sur lequel on est parfaitement d'accord, aujourd'hui comme autrefois, c'est chie l'ibis est un oiseau extrêmement utile qui détruit une grande quantité de reptiles et d'insectes. Il aime à nicher sur les mimosas dont les branches épaisses, entrelacées et épineuses, forment un fourré impénétrable.

En planant au-dessus du désert de Nubie, je fus témoin d'un curieux combat entre un ciseau et un serpent, mais ce n'étai plus de l'ibis qu'il s'agissait.

Le serpent, d'assez grande taille, fuyait devant son ennemi, qui paraissait voler en rasant le sol et qui pourtant ne déployait pas ses ailes pour s'aider dans sa course.

Ne voyant aucune retraite où il put se dissimuler, le reptile s'arrêta, se redressa et chercha, par ses sifflements aigus et le gonflement extraordinaire de son cou, à intimider son adversaire. Mais, dans cet instant, l'oiseau de proie développait une de ses ailes et la ramenait devant lui pour en couvrir, comme d'un bouclier, ses jambes et la partie inférieure de son corps.

Le serpent, surpris, s'élance avec furie ; l'oiseau bondit, frappe, recule, se jette en arrière, saute dans tous les sens, et présente toujours son aile défensive à la dent meurtrière du reptile qui s'épuise en vains efforts, pendant que de l'autre aile il lui détache de vigoureux coups.

Enfin, le serpent, étourdi, chancela, roula dans la poussière ; son ennemi le saisit adroitement, le lança en l'air à plusieurs reprises, jusqu'au moment où il retomba épuisé, sans force, et presque sans mouvement ; il lui brisa le crâne à coups de bec, le dépeça en l'assujettissant sous ses doigts et en fit un copieux repas.

Ce grand oiseau, à l'attitude fière, énergique, étau vraiment beau dans son triomphe. C'était le serpentaire, appelé encore messager, à cause de la rapidité de sa marche, et secrétaire, à cause des plumes qu'il porte derrière le cou, et qui rappellent, assez bien la plume que les commis aiment à. se planter derrière l'oreille.

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